France, Clermont-Ferrand: Assises de la FEDERATION PROTESTANTE DE FRANCE - Message du Président

Avant toute autre chose, je veux au nom du Conseil de la Fédération Protestante de France remercier celles et ceux qui nous accueillent aujourd'hui en cette ville; je veux parler de l'antenne locale de la Fédération Protestante de France, des Eglises, de leurs responsables et des équipes qu'elles ont constituées pour que chacun d'entre nous bénéficie tout au long de ces trois jours des conditions de rencontre, de travail et de fête favorables. Nous remercierons personnellement certains d'entre eux, mais dès maintenant je veux vous dire combien nous nous sommes sentis attendus et accueillis. Je veux aussi dès maintenant remercier la Direction et les administrateurs de ce Centre de Congrès qui nous ont facilité la préparation de ces Assises.


Mais je voudrais souligner tout de suite ce que représente pour nous le fait d'être venu à Clermont-Ferrand. Chacun le sait, nous ne sommes pas dans un «bastion» du protestantisme français. Nous sommes même, si mes informations sont exactes, dans une Région et une ville solidement attachées à la laïcité.


Nous aussi, protestants! Outre les grands principes qui y sont attachés, la neutralité de l'Etat, la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, la laïcité est pour nous la garantie qu'aucune religion, ni aucune idéologie, fut-elle antireligieuse, ne sera traitée de manière privilégiée - ou, si vous préférez, qu'il n'y aura aucune discrimination à l'égard de quelques religions ou idéologies qui respectent les lois de la République.


Mais cette laïcité de neutralité appelle une réelle intelligence du fait religieux, un refus de sa négation, une réelle liberté pour les religions de prendre leur place dans la société française, toute leur place et non celle dans laquelle certains voudraient les enfermer. C'est en cela, et en cela seulement, que la Loi de 1905 est liée au concept de laïcité qui lui est bien antérieur et dont le terme ne figure même pas dans cette Loi.


C'est pourquoi, nous continuerons au cours des mois qui viennent, et particulièrement pendant l'année 2005 commémorative de cette Loi, de parler de son adaptation à la situation des religions en France, situation bien différente de celle du début du vingtième siècle. Nous continuerons de demander que cette Loi concerne l'ensemble des religions sur le territoire français, tenant compte des réalités historiques, acceptant le regard que ces religions ont sur leur propre compréhension du témoignage religieux dans la société.


S'il est une valeur à laquelle le protestantisme dans son ensemble est attaché, c'est bien celle du respect des diversités, si celles-ci expriment autant le sens des responsabilités que celui des libertés. Nous ferons entendre cette compréhension de la liberté religieuse, de l'ouverture aux autres - somme toute de la démocratie.


Dans un petit ouvrage, intitulé «De Ménilmontant à Clermont-Ferrand », le Pasteur Alphonse Maillot évoquait les années qu'il a passées ici et les «prises de bec mémorables» qu'il a eues avec les autorités religieuses du lieu, comme ses «difficultés de relations avec une certaine laïcité ». Il n'était certainement pas d'un caractère facile, mais ce qui me touche, c'est l'humble interrogation dont il fait part à ses lecteurs: «N'avions-nous pas les uns comme les autres quelque chose à nous dire, et que nous n'avons pas su nous dire? ».


En ouvrant ces Assises, à Clermont-Ferrand, j'aimerais que nous la reprenions à notre compte, pensant au travail qui nous attend comme autant de passerelles que nous devrions jeter entre notre réflexion de chrétiens protestants, et celles et ceux qui constituent notre société contemporaine, tant chrétiens de différentes confessions, que croyants d'autres religions, qu'athées ou agnostiques.


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Dans cet état d'esprit tournons-nous donc résolument vers ce que ces Assises veulent être pour notre protestantisme français. J'aimerais pour cela commencer par vous rappeler, je ne sais précisément comment l'appeler - que les exégètes veuillent bien me pardonner - l'histoire ou la 'légende' ou la 'parabole' du prophète Elie. Vous vous souvenez de son affrontement avec le roi Achab et la reine Jézabel, et de cet épisode qu'un Cécil B. DeMille aurait dû mettre en scène pour le cinéma où Elie fait un concours d'efficacité entre Baal et Dieu qui se termine par l'exécution par le peuple des 450 prophètes de Baal et probablement des 400 prophètes de la déesse Achéra.. .Vous vous souvenez aussi que, malgré le retour de la pluie, la reine Jézabel furieuse de la mort de ses prophètes, menace Elie et le contraint à fuir dans le désert. Et c'est là que se dénoue toute l'histoire et que se révèle, à mon avis, tout le sens de la parabole.


Le Seigneur adresse la parole à Elie pour lui permettre d'exprimer son découragement. Puis il le conduit sur le seuil de la caverne qui l'abritait et il se révèle à lui, non dans le souffle de la tempête, non dans le grondement du tremblement de terre, non dans le feu, mais dans le « bruit d'un léger souffle » (1 Rois 19,12), et il lui confie une triple mission: de consacrer le roi de Syrie, puis le roi d'Israël et son successeur Elisée.


Parabole! Comment ne pas entendre dans ce «bruit d'un souffle léger », ce Dieu qui malgré sa colère s'écriait « Efraim est-il pour moi un fils chéri, un enfant qui fait mes délices? Chaque fois que j'en parle, je dois encore et encore prononcer son nom,. et en mon coeur, quel émoi pour lui! Je l'aime, oui, je l'aime - Oracle du Seigneur » (Jérémie 31, 20); ce Dieu qui «reste fidèle à des milliers de générations» (Exode 34, 7); le Dieu des Béatitudes.


Un Dieu, qui au coeur de la violence humaine, apporte le « bruit d'un souffle léger », inefficace peut-être aux regards des hommes et pourtant lumineux.


Parabole! Comment ne pas entendre dans la mission confiée à Elie dans sa détresse, la permanence de la Parole qui seule fait mourir et vivre.


Les Béatitudes, particulièrement dans l'évangile de Luc font échos à cette Parole, 'bonheur' pour les uns, 'malheur' pour les autres. Mais ces Béatitudes n'ont de sens que parce que celui-là même qui les a prononcées, les a lui-même vécues pleinement. Elles sont un chemin que le Christ a ouvert et sur lequel il nous précède. Lorsque les disciples réunis autour de lui, et la foule qui les entoure, entendent pour la première fois, sur les collines de Galilée (Matthieu 5) ce message révolutionnaire - révolutionnaire en ce sens qu'il renverse les valeurs -, qu'il « met en déroute les hommes au coeur orgueilleux, renverse les rois de leurs trônes, donne une place élevée aux humbles, et accorde des biens en abondance à ceux qui avaient faim » (Luc 1, 51-53), ces disciples, cette foule, et nous-mêmes à leur suite, entendons et voyons Celui qui nous précède et qui nous ouvre la route.


Lorsque Jésus proclame « heureux les doux» ou « heureux les artisans de paix» ou « heureux les persécutés», il ne fait pas l'apologie de la souffrance mais il fait l'apologie de l'espérance. Devant ses disciples, comme devant nous, il découvre un horizon vers lequel il nous appelle à marcher, à nous laisser conduire. Au coeur donc de nos Assises, ce ministère de réconciliation que Dieu a donné à son Fils envers nous et qu'il nous offre de poursuivre avec lui (2 Cor 5,16-19). 


C'est pourquoi, après nos Assises de 1999, nous nous sommes attachés avec d'autres à réfléchir au thème qui nous réunit aujourd'hui, «surmonter la violence ». Les Nations Unies, le Conseil oecuménique des Eglises étaient frappés, et nous avec eux, par l'omniprésence de la violence dans notre société. Je l'évoquais dans mon message aux Assises de Versailles en disant: « Il nous faut répondre à ce défi qui est tout autant citoyen que spirituel par un engagement résolu ». Je ne pouvais bien sûr pas prévoir que nous serions en 2001 plongés par les attentats terroristes aux Etats-Unis d'Amérique, dans un déchaînement de violence comme celui que nous connaissons depuis cette date. Il nous a amenés à nous engager publiquement dans une étroite relation tant avec les Eglises soeurs en France qu'avec celles d'Europe, du Moyen-Orient ou des USA.


Mais il ne faudrait pas que le rappel quasi quotidien de cette violence, et notre volonté de dire la sensibilité qui est la nôtre à l'égard de ses victimes, nous écartent du coeur de notre rôle spirituel et ecclésial.


Nous courons facilement le risque de l'incantation, cette manière bien pieuse de nous situer du "bon côte", d'autant plus aisément que nous ne sommes pas touchés par l'agression. Incantation sans aucun effet puisqu'elle ne permet pas de toucher aux racines de la violence.


Disant cela, je ne récuse en rien le courage de parler, face au silence qui souvent accompagne les violences de notre société. Il nous faut savoir faire priorité aux droits humains, appeler par leur nom les discriminations, susciter des prises de conscience, aider nos concitoyens, et nous avec eux, à prendre leurs responsabilités. Mais nous devons le faire comme des hommes et des femmes qui ont d'abord conscience en eux-mêmes de leur propre violence, expression ambivalente de leur vitalité ou de leur force créatrice comme de ce qui les attire à rejeter, repousser, exclure. Je suis particulièrement reconnaissant à celles et ceux qui ont aidé, au cours de ces dernières années, à nous rendre attentifs à ce que notre travail sur la violence soit avant tout un travail sur nous-mêmes et sur nos Eglises. 


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Il me semble, en effet, qu'il y a un certain nombre de domaines où il nous faut savoir, aujourd'hui, parler fort, mais aussi ne pas nous contenter de cela ! 


1. Quand nous entendons, de toutes parts, des travailleurs sociaux, ou des associations d'entraide, nous dire leur découragement devant la diminution des subsides publics pour venir en aide au nombre croissant des exclus et des victimes de discriminations, ou devant les difficultés sans cesse plus lourdes pour trouver un logement ou devant l'augmentation ininterrompue des "Rmistes"; quand un Commissaire européen propose de créer des camps pour les migrants et les demandeurs d'asiles en dehors des frontières de l'Union Européenne, pour cacher la terrible réalité de la mondialisation qui accroît les disparités entre pays du nord et pays du sud, et pousse irrémédiablement à l'émigration; quand nous sentons que le défi de la pauvreté croissante appelle des changements de comportements, des militances renouvelées, des réorientations profondes de nos politiques économiques et sociales: il est tout à la fois nécessaire de le dire, d'en faire prendre conscience autour de nous, mais encore d'en débattre entre nous et avec tous ceux qui le souhaitent, et de réorienter notre diaconie autant que de renforcer notre prédication. Nous ne pouvons nous situer comme donneurs de leçons, mais comme parties prenantes d'une société en crise, une crise qui nous traverse et nous appelle à des engagements renouvelés.


2. De même, quand, en France, nous entendons dénigrer le monde évangélique à partir d'assimilations simplificatrices entre certains mouvements américains et le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique; quand, dans un climat d'ignorance religieuse, le protestantisme français, dès lors qu'il ne ressemble pas aux stéréotypes de la démarche spirituelle avec ses 'messes' et ses processions, est assimilé à une secte; quand il nous semble que l'uniformité et la centralisation ne sont pas les meilleures expressions de l'unité dans la foi chrétienne: il nous faut réagir avec fermeté. Et je veux ici rendre hommage à l'important travail livré ces derniers mois par le sociologue Sébastien Fath, et d'autres, pour tenter de faire comprendre la confusion dans laquelle nous placent les instrumentalisations politiques du religieux.


Mais avec la même conviction, je veux dire ce qui relève de nous et qui ne relève pas de déclarations publiques. Nous croyons en effet que l'Evangile est message de libération donc de libertés, de réconciliation et non d'exclusion, de paix donc de fraternité. Le premier lieu où ceci doit être manifesté est celui de nos communautés ecclésiales. Dire cela n'est pas en faire des lieux de tolérance sans limites, privés de discipline. .. mais quelles que soient nos disciplines ecclésiales ou notre volonté de rigueur morale, elles ne peuvent s'exprimer hors de l'écoute mutuelle, du dialogue, et de la recherche de médiation. Il s'agit de lier étroitement l'Evangile de la grâce au beau nom d' 'évangélique' auquel, directement ou indirectement, nous nous rattachons tous.


3. J'insiste sur ce point en parlant d'un sujet qui me tient à coeur. De toutes part, et particulièrement d'Afrique ou d'Europe centrale, convergent des informations sur la prolifération des mouvements dits 'd'évangélisation'. Au Nigeria, en Ethiopie, au Maroc, en Albanie, les Eglises locales sont confrontées à des «missions» dont le plus souvent nul ne sait l'origine et surtout nul ne connaît l'origine des moyens financiers dont elles disposent pour convaincre souvent les plus miséreux de 'l'efficacité' de l'Evangile.


Or s'il est clair, pour moi, qu'aucune Eglise, en aucun pays ne peut prétendre être à elle seule le chemin par lequel l'Evangile est porté aux hommes et aux femmes de ce pays, quel qu'il soit, et quel que soit le passé de cette Eglise dans ce pays; il est tout aussi clair, pour moi, que l'annonce de l'Evangile portée par une Eglise, accompagnée des convictions les plus fortes, ne peut se faire sans une connaissance et un respect entier pour les autres Eglises ( et j'ajouterais les autres religions) et leurs spiritualités, déjà présentes dans ce pays. L'annonce de l'Evangile ne peut être une compétition; elle doit être, pour les Eglises, une oeuvre commune, en raison même du pluralisme des spiritualités. En ce sens, la démarche oecuménique est indispensable à la crédibilité de l'évangélisation.


4. On pourrait s'étonner que le terrorisme ne soit pas mentionné dans la réflexion de nos Assises, quoiqu'il serait possible de "botter en touche" en disant qu'il ne concerne que les services de renseignements, de police ou de défense de notre pays. Croyez bien qu'il ne peut être question de prétendre ici mépriser le rôle sécuritaire des pouvoirs publics.


Mais j'aimerais vous offrir deux citations qui, à mon sens, devraient nous faire réfléchir sur notre rôle. Je les emprunte à Olivier Abel et à Elisabeth Serres. D'Olivier Abel, philosophe, cette phrase extraite de L'amour des ennemis, p 8: «comme si la violence était le seul moyen de vérifier que nous sommes bien au moins dans le même monde physique!». D'Elisabeth Serres, dont beaucoup savent le rôle d'animatrice sociale qu'elle joue avec son mari dans une banlieue particulièrement sensible, cette citation tirée du mensuel baptiste Construire ensemble N°64 : «La violence est une réaction normale à une identité violée. C'est la manière qu'ils utilisent pour montrer qu'ils existent ».


Certes ni Elisabeth Serres, ni Olivier Abel ne parlent directement de terrorisme. Mais ce qui m'intéresse c'est la démarche humaine et psychologique qu'ils soulignent. Cette démarche n'excuse en rien la violence, elle ne la justifie pas. De même, rien ne permettra jamais d'excuser ou de justifier quelque acte antisémite ou raciste que ce soit. Ces actes de violence sont le fruit de propagande, d'éducation ou de non éducation, de confusion qu'il nous faut analyser, dénoncer, déconstruire, et combattre. Mais il est une part du mécanisme de la violence que nous rappellent ces deux citations et que nous n'avons pas le droit de laisser de côté, d'autant plus qu'elles nous impliquent directement. Car si des individus ou des populations entières ont le sentiment que la violence reste le seul moyen pour eux de se savoir partie prenante de la réalité physique de notre monde, qu'elle est le seul moyen qui leur reste pour se rappeler au souvenir de ceux qui nient leur existence, alors sans l'excuser ni la justifier, nous devons l'entendre pour ce qu'elle est, un appel au secours.


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Reconnaître en nous la violence, c'est nous permettre de nous approcher des autres dans leur violence,. mais c'est aussi nous sentir solidaire de leur violence. Lutter en nous contre la violence c'est ouvrir une voie pour les autres de lutter contre la violence.


Disant cela je paraphrase la théologienne Lytta Basset (Le pouvoir de pardonner. Lytta Basset; Albin Michel, 1999) qui le dit du pardon. Mais cette appropriation de la violence et cette lutte contre elle, en nous et par nos Eglises ou Associations, est faite de pardon reçu et offert, de réconciliation reçue et offerte. Tel est l'enjeu non seulement de ces Assises mais de notre témoignage évangélique. Être véritablement une «Eglise pour les autres», mais en étant nous-mêmes de ceux et de celles qui confessent que le Christ a donné sa vie pour les conduire sur les chemins du pardon et de la réconciliation. Cela ne changera pas le monde, mais nous pouvons espérer qu'il entendra le «bruit d'un léger souffle»

Jean-Arnold de Clermont, Président de la Fédération Protestante de France, Octobre 2004.

Source: FPF