Les délégués des jeunes chrétiens présents au Forum social mondial (FSM), qui se tient actuellement à Mumbai (Bombay), un centre économique de l'Inde, ont unanimement reconnu que la globalisation croissante pousse à l'intensification du commerce sexuel.
La veille de l'ouverture du FSM, le Conseil Oecuménique des Églises (COE), en association avec le Conseil national des Eglises chrétiennes en Inde, le Mouvement des étudiants chrétiens en Inde et la section indienne du Réseau oecuménique d'étudiants et de jeunes d'Asie, a organisé une visite à Kamathipura, qui est l'un des plus grands centres du commerce sexuel en Inde.
D'après Freddy Knutsen, secrétaire de la section «jeunes» au COE, cette visite avait pour but de permettre aux visiteurs «d'identifier les véritables problèmes».
Le 15 janvier au matin, des badauds ont regardé avec curiosité une cinquantaine de jeunes venus du monde entier frayer leur chemin dans les rues encombrées de Kamathipura, dont l'artère principale abrite plus de 100 000 «travailleuses du sexe».
«Les pauvres deviennent plus pauvres, et ce qui est mal devient pire - voilà le résultat de la mondialisation chez les êtres humains», explique Samuel Jaykumar, secrétaire général du Mouvement des étudiants chrétiens en Inde.
A Kamathipura, les visiteurs ont été confrontés à la réalité brutale.
Déambulant d'un air nonchalant dans des vêtements suggestifs, les «travailleuses du sexe» illustrent bien les luttes qu'il faut mener pour vivre. Le choc et l'accablement se lisent sur le visage des visiteurs – pour beaucoup, c'est la première fois qu'ils voient des praticiennes de ce métier.
Pour Andrea Fernandez, du Brésil, «c'est vraiment très triste; c'est terrible de voir des femmes réduites à l'état de simple marchandise», ajoutant que, dans son pays, la situation n'est pas meilleure.
En dehors des minables baraques de Kamathipura, les «travailleuses du sexe», trop occupées à essayer de racoler des clients, n'ont guère de temps à consacrer à leurs enfants vêtus de haillons.
Comme toutes les mères, elles rêvent d'un avenir meilleur pour leurs enfants insouciants et innocents. Mais, comme l'a admis l'une d'entre elles, la plupart des filles emboîtent le chemin de leur mère, et les garçons deviennent des proxénètes, comme leur père qu'ils n'ont pas connu.
La ville de Kamathipura doit son nom aux Kamathis, des migrants venus de l'état d'Andra Pradesh, dans le sud de l'Inde. Le premier groupe s'est d'abord installé à Mumbai (qui s'appelait alors Bombay) en 1795 et, progressivement, le secteur où ils habitaient est devenu le quartier chaud de la ville. Leur sort était scellé à la fin du XIXème siècle.
Chaque année, des centaines de femmes déchues et abandonnées, venues de tout le pays et même du Népal voisin, échouent à Kamathipura. Certaines sont victimes de la traite des femmes, qui est illégale, et d'autres s'y retrouvent contraintes par les pressions économiques.
La ville de Mumbai est plus connue comme centre d'affaires et parce que l'on y produit le plus de films au monde; tous les pauvres du pays rêvent d'y trouver une vie décente. Mais, dans la plupart des cas, le rêve tourne au cauchemar.
Les bordels se multiplient partout où se trouve une population migrante - mais il est vrai que, dès l'époque britannique, Kamathipura était déjà spécialisée dans «le repos du guerrier».
Aujourd'hui, des adolescentes au lèvres fardées attirent des passants douteux dans des pièces déjà encombrées de clients.
«Mais nous ne gagnons presque rien, déclare Minashki junior, le sida nous a ruinées. Nous devons accepter des clients douteux pour à peine 10 roupies (environ 25 centimes d'Euro).»
Pendant que Minashki junior, qui semble avoir une trentaine d'années, fait son travail au coin de la rue, Minashki senior, qui a quelques années de plus, est retournée dans sa ville natale, quelque part au Népal, pour faire entrer son fils au lycée.
Ici, les noms n'ont aucune importance. Il y a les Minashki, les Mohini et les Rukmini, qu'on distingue en junior et en senior selon leur âge. Parfois, les vieilles sont simplement appelées Badiwali et les jeunes Chotiwali.
Dehors, c'est le chaos: avec les restaurants minables, les baraques illégalement construites, les vendeurs de rue et les ordures qui jonchent le sol, cette artère est dans un état permanent d'embouteillage.
Tout espace libre est occupé par des prostituées à la recherche de clients.
Roopa (ce n'est pas son vrai nom) est l'une de ces innombrables âmes qui font commerce de leur corps dans le vacarme incessant de la rue.
«A ton avis, qu'est-ce qu'ils viennent faire ici, tous ces gens [les délégués]?» demande-t-elle à l'une de ses amies, plus âgée, probablement son mentor. Elle est presque agressive: «Tu crois qu'ils cherchent une pattaka [ jolie femme]?» La femme âgée, aux traits mongoliens, qui observe la scène par une fenêtre à l'étage, sourit d'un air entendu.
Pourtant, les vifs coloris des saris, tranchant sur les plaques d'amiante brisées, donnent une certaine couleur à ce lugubre environnement.
Les souteneurs, toujours aux aguets, regardent les délégués avec méfiance, ne sachant pas à quoi va mener cette rencontre entre les femmes et ces visiteurs, dont certains sont manifestement étrangers.
«Vous faites partie d'une équipe d'inspection?» demanda Harish Rao, qui se refuse à admettre qu'il est souteneur.
«Des chrétiens? Oh! Ce sont des gens bien, mais nous n'en avons rien à faire», ajoute-t-il dans un marathi laborieux, qui est la langue de la région mais pas sa langue maternelle.
Rao a entendu parler de programmes de développement destinés à aider les femmes et les enfants de Kamathipura à défendre leurs droits. Mais son principal souci est: «Comment fournir une autre source de revenu à une communauté qui ne connaît qu'une manière de gagner sa vie?»
Leena Vaidya, qui travaille depuis plusieurs années dans ce quartier comme assistante sociale, sait qu'il existe un plan pour libérer les femmes et les enfants. Mais il leur faudra du temps pour se défaire de pratiques maintenant séculaires.
Raj Bharath Patta, étudiant en théologie et membre du Mouvement des étudiants chrétiens en Inde, regrette que le nombre de «travailleuses du sexe» augmente dans un monde prétendument riche en possibilités.
Il est strictement interdit de filmer ou de photographier à Kamathipura.
« Pourquoi voulez-vous nous filmer? Nous sommes là pour le plaisir de vos yeux et pour vendre notre corps», déclare Meenakshi, qui refuse de se laisser filmer, même le visage couvert.
A la vue d'un éventuel client, elle se retire dans un coin et incline la tête dans la direction de portraits de dieux et déesses hindous accrochés à un mur donnant sur la rue.
En rentrant à la Memorial Marathi Methodist Church, les délégués avaient l'image troublante de Meenakshi marquée comme au fer rouge dans leur coeur. Conscients du fait que la croissance de la pauvreté et du désespoir alimente le commerce sexuel, ils ont pris la résolution de rendre possible un autre monde.
L'auteur de l'article, Binu Alex, est un journaliste catholique qui travaille dans une station de radio à Ahmedabad.
Source: Conseil oecuménique des Eglises (COE)