Le Figaro du 24 mai publie un reportage fort passionnant sur les nouveaux chrétiens en Kabylie. Au journaliste, ils font part de leur chemin de conversion et des conditions de leur vie actuelle aux lendemains de la promulgation de la nouvelle loi religieuse concernant les cultes non-musulmans. Parmi les chrétiens cités, des chrétiens de la communauté méthodiste affiliée la Conférence Annuelle Suisse/France/Algérie de l’Eglise Evangélique Méthodiste.
Les jours de baptême, Ali sort une vieille baignoire qu'il remplit de seaux d'eau froide. Les convertis s'y plongent habillés. Le pasteur les bénit en maintenant leur tête en apnée sous les youyous d'encouragement. Les voilà chrétiens ! La plupart d'entre eux déclarent avoir vu en rêve Jésus leur tendre la main. Tel saint Jean baptisant Jésus, Ali consacre ses ouailles dans le vestiaire de l'église méthodiste des Ouadiahs, un village kabyle niché au pied des monts du Djurdjura.
Nous sommes vendredi, jour de la prière musulmane, de repos hebdomadaire républicain en Algérie et par la force des choses, du Seigneur pour les chrétiens qui seraient plusieurs milliers dans la région. En cette matinée, des chants montent de la chapelle de la communauté des Ouadiahs installée dans une ancienne maternité. «Alliluya, Alliluya ! Tous unis dans Jésus. Et tout le monde saura que nous sommes chrétiens ! Gloire au fils de Dieu !» Les cantiques sont psalmodiés sur des airs de musique berbère joués à la guitare et au darbouka. Les fidèles les fredonnent selon l'inspiration du moment, en amazigh, la langue berbère, en arabe et en français.
Ils sont une cinquantaine à participer à l'office. Les femmes à la chevelure découverte, occupent les premiers rangs. Dans son prêche, Ali, l'un des responsables du lieu de culte, évoque la difficulté de témoigner de ses croyances. «Le fait que je sois chrétien dans ce pays est un miracle !», lance-t-il. A l'eucharistie, le sang du Christ, du vin rouge d'un cru local, est servi au pichet avec un morceau de galette de pain.
En ces terres musulmanes, peu de signes ostentatoires témoignent d'une présence dissidente. Une croix est gravée discrètement dans un des murs arrière de l'école biblique bâtie dans le vaste domaine de cette communauté fondée par des méthodistes suisses. Et un panneau de bois planté au bord de la route signale l'église. Le mouvement évangélique a opté pour la discrétion. Ici, la foi se chuchote et se transmet de bouche à oreille. Prudents, les protestants kabyles ne se réclament pas d'une filiation avec leurs ancêtres berbères christianisés du temps de saint Augustin, avant l'arrivée au VIIe siècle des arabo-musulmans. Pas question de mettre en cause la sacro-sainte unité nationale algérienne ! «On dit aussi qu'on veut revenir au temps de l'occupation française. Mais durant les cent trente années de présence française, les religieux qui enseignaient dans les écoles n'ont jamais cherché à convertir les musulmans», rappelle Kader. Il réfute également tout lien financier avec les organisations baptistes américaines de plus en plus actives au Maghreb. «Nous n'avons rien à voir avec eux», affirme Kader qui trouve absurde la comparaison avec les «born again», les chrétiens renaissants dont George Bush est aux Etats-Unis la figure emblématique.
Beaucoup de membres du mouvement confient avoir rejoint la communauté chrétienne lorsque les égorgeurs des Groupes islamiques armés (GIA) infestaient les bois des environs. «Je suis issu d'une famille musulmane non pratiquante aux idées plutôt laïques et nationalistes, indique Ali. Ma conversion est un long cheminement dont l'un des facteurs déclencheurs a été l'assassinat en décembre 1994 des Pères blancs de Tizi Ouzou». Surnommés les «Imrabden irumyen» (les marabouts français), les Pères blancs furent abattus par un commando des GIA peu après l'échec du détournement de l'Airbus d'Air France reliant Alger à Paris. Le crime suscita effroi et compassion.
Ecoeurés par une violence commise au nom de l'islam, des habitants décidérent en ces temps de sang et de larmes de rompre avec leur religion d'origine. Fruit d'un questionnement personnel mais aussi d'une quête identitaire, les conversions devinrent dans cette province rebelle une manière de se différencier. «Quoi qu'on en dise à Alger, ces chrétiens sont moins dangereux que les salafistes qui reviennent ces derniers mois en force dans les mosquées de Kabylie et tentent à nouveau d'imposer des pratiques extrémistes contraires à nos traditions», analyse M'Barek, un militant associatif de Tizi Ouzou.
Pilier durant des années de la communauté des Ouadiahs, le pasteur Kader n'est que de passage. D'ordinaire, il exerce son magistère à Constantine, une cité réputée pour son conservatisme, où cohabitaient autrefois musulmans, juifs et chrétiens. «Nous sommes là-bas à peine une dizaine de protestants algériens. Les gens nous acceptent car nous ne représentons pas une menace», affirme-t-il. Ce n'est pas l'avis des doctes savants de l'université des sciences islamiques Emir Abdelkader de la capitale de l'Est algérien.
Au cours d'un colloque organisé voici deux ans, ces spécialistes de l'islam se sont inquiétés de la montée en puissance des néo-protestants. A en croire les experts intervenus au cours du conclave, «l'évangélisation gagnerait du terrain en Kabylie» au point de pousser «30% des habitants de la région de Tizi Ouzou» dans les églises. Sans rapport avec la réalité, l'estimation aurait été volontairement exagérée pour provoquer une réaction des pouvoirs publics. Celle-ci n'a pas manqué. «De nouveaux croisés essaient par tous les moyens de christianiser les Algériens. La mosquée, l'école, les médias et les institutions de l'Etat doivent s'y opposer», a récemment affirmé sur un ton définitif le cheikh Abderrahmane Chibane, président de l'Association des oulémas algériens. Au début de l'année, le Parlement a adopté une loi très restrictive encadrant l'activité des minorités religieuses.
Dans un pays où la charia qui châtie les apostats de mort n'est pas appliquée, mais où l'islam est religion d'Etat, le prosélytisme est désormais criminalisé. Le texte prévoit de sévères peines de prison (de 2 à 5 ans de réclusion) contre ceux qui utilisent «des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion» ou à «ébranler sa foi». Pour l'instant, Jésus reste à l'affiche dans les bacs des marchands de disques et de cassettes des rues commerçantes de Tizi Ouzou. Entre un DVD du dernier spectacle de l'humoriste Fellag et un récital de Matoub Lounès, le chantre assassiné de la contestation berbère, le badaud peut dénicher une vie de Jésus. Et aux Ouadiahs, la cohabitation entre chrétiens et musulmans demeure pacifique. Même si quelques habitants ont bien tenté de lancer une pétition demandant la fermeture de l'église. Une initiative abandonnée faute de signataires.
24 mai 2006
Source: Le Figaro