France, Paris: le Figaro met en valeur l’extreme diversité de situations dans le protestantisme français

Le Figaro, daté du 26 décembre, publie une enquête faite par Anne Fulda sur le protestantisme français. Elle pointe du doigt l’extrême diversité de situations chez les protestants hexagonaux.



ÉVIDEMMENT, il y a les clichés. Persistants. Simplificateurs, voire simplistes, mais qui ont la peau dure. Un protestant se doit d'être austère bien sûr. Puritain. Ascète. Avec des allures de quaker ou de représentant de la haute société protestante. Lionel Jospin, à sa manière, avait tenté de dissiper certaines idées reçues, bien ancrées, parfois justifiées, parfois non. « Je suis un protestant athée, un rigide qui évolue, un austère qui se marre », avait-il lancé, non sans humour. Mais sans guère convaincre. Difficile en effet de chasser certaines représentations véhiculées depuis plusieurs siècles dans l'imaginaire collectif.


Qui sait en effet que le protestantisme d'aujourd'hui, fort d'environ deux millions de membres en France, a beaucoup évolué ces dernières années ? C'est une Église extrêmement diverse, foisonnante. Qui accueille en son sein des Églises réformées ou luthériennes, aussi bien que des évangéliques, des pentecôtistes ou des adventistes. Parmi ces protestants, des « austères », certes, qui, surtout chez les réformés, refusent tout décorum superflu, les icônes ; mais aussi des pratiquants qui expriment leur foi de manière joyeuse, débridée, presque exubérante se rapprochant des cultes à l'américaine avec chanteurs de gospel et démonstrations, dans des temples qui se multiplient comme des petits pains, notamment en région parisienne. « Le protestantisme luthéro-réformé, c'est un peu»ET*, le personnage de Spielberg, résumait drôlement Sébastien Fath, sociologue spécialiste du protestantisme, dans un colloque en mai dernier. Il est doté d'un cortex cérébral considérable, grosse tête qui renvoie à la puissance culturelle et intellectuelle de la haute société protestante. Revers de la médaille, sa peau est ridée, image du vieillissement de sa population de pratiquants, et son corps est malingre. » Toujours selon ce jeune sociologue, le protestantisme évangélique s'apparenterait lui à un « diplodocus ». « Sa temporalité préférée est celle de l'Église primitive, celle des premiers chrétiens, qui est à l'histoire de l'Église ce que l'ère jurassique est à l'histoire des quadrupèdes. Son cortex cérébral ne constitue pas son point fort. Sa très petite tête évoque une fragilité culturelle et intellectuelle, peu d'élites. À l'inverse, c'est le reste du corps ici qui est énorme. Des paroisses, des églises locales nombreuses souvent très remplies. »


Simplificateur ? Signe qu'il existe aujourd'hui un protestantisme à deux vitesses ? A priori, oui. C'est vrai, il n'y a rien à voir entre un éminent membre de la haute société protestante comme Jérôme Monod qui fréquente rarement le très chic temple de l'Oratoire, rue Madame, dans le VIe arrondissement de Paris, et Joseph-Yves Gely, documentaliste de son état qui, lui, fréquente assidûment l'église de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne). Le premier, ancien président de la Lyonnaise des Eaux et aujourd'hui conseiller du président de la République Jacques Chirac, est issu d'une grande famille protestante. L'un de ses grands-pères était pasteur à Amiens, l'autre était banquier et parlait l'araméen et le grec ancien. De retour de ses expéditions dans le désert, Théodore Monod prêchait déjà au temple de l'Oratoire, où chaque année, en janvier, - dans un temple où trônent des bustes des illustres ancêtres de la famille Monod -, le pasteur dit aujourd'hui encore quelques mots devant quelques-uns des représentants de cette « tribu » que fustigeait Charles Maurras. Aujourd'hui, Jérôme Monod, pour qui « le protestantisme, c'est un peu comme le gaullisme, une forme de résistance au monde extérieur, un état d'esprit rétif à l'ordinaire, une filiation qui se décrit sans qu'on soit obligé de l'expliquer », dit « se sentir protestant, chrétien ». « Je crois au salut par la grâce et la foi », assure-t-il ; mais « je ne pratique pas régulièrement. Je vais au culte de temps en temps. Ma façon de vivre ma religion concerne d'abord le sentiment que j'ai de ma destinée, et se traduit dans mes rapports avec autrui. La responsabilité personnelle, qui est le propre du protestant, peut entraîner une forme de solitude. Pour moi, la religion est devenue quelque chose de familial et de personnel. »


Joseph-Yves Gely n'a pas exactement la même conception de la religion. Né dans une famille chrétienne, d'une mère et d'un père pratiquants évangéliques, il est évangélique, et comme la plupart de ses pairs, a été baptisé à l'âge adulte, à trente ans. Il vit sa foi en se rendant au culte tous les dimanches, mais aussi en priant tous les jours et en lisant des passages de la Bible « pour des collègues copains, ou des ennemis. Je lis la Bible le matin quand je me réveille, dans la journée, le soir : cela fait deux à trois heures par jour. J'ouvre la Bible parfois au hasard, parfois selon un plan de méditation fixé sur l'année. » Cet originaire des Dom-Tom, qui se rend parfois sur les marchés distribuer des tracts « Dieu t'aime », vit sa foi de manière prosélyte - sa tâche est d'évangéliser ceux qu'il rencontre - et participe à un culte bien plus joyeux que les habitués de l'Oratoire ou de l'Étoile.


Ces deux protestants appartiennent-ils vraiment à une même Église ? Jean-Arnold de Clermont, le président de la Fédération protestante de France, n'en doute pas. Il assure que, en ce qui concerne les questions éthiques ou de société (sur l'avortement ou l'homosexualité, les évangéliques ont une position plus sévère), le protestantisme est comme une famille : « À l'intérieur d'une famille, il y a souvent un fils qui vote PS et l'autre UMP. » En revanche, il souligne que, si risque de rupture il y a, c'est sur les questions théologiques. Certains évangéliques prêchent en effet une religion du succès et de la guérison assurée, ou annoncent des miracles, comme ce prédicateur américain venu en septembre dernier en France et qui a fait salle comble. Si le président de la Fédération protestante de France attribue en grande partie le regain du protestantisme à ces évangéliques, il souligne aussi l'arrivée massive de « quadras », enfants de l'après-1968, dans les églises réformées des grandes villes, et la croissance d'Églises protestantes issues de l'immigration, d'Églises « ethniques », africaines, chinoises, coréennes ou laotiennes, notamment en région parisienne, où, comme le note le pasteur, certains « ouvrent une Église comme ils ouvriraient une épicerie ». Mais comment trier le bon grain de l'ivraie ? Les Églises, des sectes ? « À nos yeux, il y a comportement sectaire lorsque deux critères ne sont pas respectés : le respect des lois publiques concernant l'organisation des cultes, la collecte de l'argent et la liberté d'expression, et - facteur déterminant - l'acceptation du dialogue avec les autres. Cela dit, ajoute Jean-Arnold de Clermont, ce qui fait les Églises protestantes, ce n'est pas une liturgie imposée. Nous ne décernons pas de brevet de bon ou de mauvais protestant. »


Bon ou mauvais protestant, cette notion a effectivement peu cours chez les protestants, où la pratique n'est généralement pas un critère déterminant, la référence essentielle étant la Bible. Valérie Mali, pasteur de l'Église réformée de Levallois-Perret (il y a environ un quart de femmes pasteurs chez les réformés), le confirme. La jeune femme qui voit son rôle comme celui d'un enseignant à travers la prédication, l'étude biblique, la catéchèse, analyse : « La spécificité de la religion protestante, c'est le lien à la parole et à l'Écriture. Tout protestant réformé est libre de sa parole. » Et de lire, pour appuyer sa démonstration, un passage de la Liturgie de l'Église réformée de France sur la pratique : « Toute la vie de l'Église, en particulier le culte, la sainte cène, la lecture de la Bible et la prière sont les moyens que Dieu nous donne pour persévérer dans la foi. »


Philippe Albert, contrôleur de gestion et élu au conseil presbytéral du temple de Levallois-Perret, témoigne : issu d'une famille calviniste, il vit sa foi à travers une implication importante dans la vie paroissiale, mais une fréquentation peu assidue du temple. Il est père de deux filles, l'une de huit ans et l'autre de deux ans et demi : la première a été baptisée à deux ans et demi, et la seconde ne l'est pas encore. « Nous ne ressentons pas l'ardente obligation de baptiser jeune », explique-t-il. Les enfants suivent d'abord un éveil biblique (entre quatre et sept ans), puis vont à l'école biblique. Dans cette famille, on ne pratique pas la prière avant les repas, mais Philippe Albert essaie au moment du coucher de sa fille de huit ans, de chanter et prier avec elle. Olivier Khammouni, évangélique baptiste, est plus à cheval sur la pratique. Ce jeune homme de 23 ans dit avoir un fil conducteur : « Agir pour plaire à Dieu ». Il se rend tous les dimanches à l'église de Boulogne, et prend tous les jours du temps pour prier : « Dans le métro, je lis la Bible et une fois par semaine je prends un quart d'heure pour méditer. » Quand il est en famille, ce célibataire, issu d'une famille d'évangéliques, chante des chants spécifiques pour la table avant les repas : « Le pain d'hier est rassis ; merci, Seigneur, pour le pain d'aujourd'hui. » De même, chez les adventistes (l'Église du Septième Jour), la pratique est importante, de même que le respect d'une certaine éthique et d'une hygiène de vie (il faut respecter son corps en ne consommant pas alcool, tabac ou drogue). Comme l'explique Jean-Paul Barquon, secrétaire général de l'Union des fédérations adventistes, « un membre baptisé ne peut être que pratiquant » ; il se doit donc d'aller le plus possible au culte, le samedi, et de rendre grâce à Dieu.


Comme quoi la famille protestante, même si elle place avant tout l'homme seul face à Dieu, est l'une des plus protéiformes et ouvertes des Églises.


le 26 décembre 2006

Source: Le Figaro