Suisse: pleins feux sur… la communauté chrétienne latino-américaine de Genève - Entretien avec Roswitha Ebner-Golder, pasteure de la communauté latino-américaine de Genève

Propos recueillis par JP Waechter


Le Wesley Theological Seminary de Washington D.C. a octroyé le 9 mai 2005 à Roswitha Ebner-Golder le titre de Doctor of Ministry pour son mémoire sur la communauté chrétienne latino-américaine de Genève. Bravo, bravissimo, Roswitha ! Pour En route, elle accepte d’en dire davantage sur cette communauté multiculturelle de Genève.


À l’origine de l’église

La communauté chrétienne latino-américaine a été créée 17 ans en arrière. Un prédicateur laïque Francisco Vendrell a commencé ce travail avec un grand nombre de réfugiés politiques chiliens. Marqués par leur exil, ils ont très vite ressenti le besoin de former une communauté pour partager leur foi et se soutenir mutuellement.


D’une vague à l’autre

Après l’immigration politique s’est présentée l’immigration économique par vagues successives. Les Péruviens, les Équatoriens, les Colombiens, les Boliviens et les Brésiliens frappent en grand nombre à la porte de la Suisse à la recherche d’un Eldorado. Ils fuient tous une vie de misère pour un leurre, un « mythe » comme nous le dit Roswitha Ebner-Golder, « une fausse image que donne la Suisse », car la plupart de ces nouveaux migrants ne parviendront souvent pas à gagner suffisamment leur vie pour remettre à flot leur famille restée au pays.


Le rôle de la pasteure

Cette communauté est donc formée à ce jour d’une majorité de gens sans papiers ou en quête de régularisation. Face à ces situations humaines dramatiques, Roswitha Ebner-Golder affirme ne pas détenir de solution miracle. Elle se contente d’accompagner pastoralement chacune et chacun des membres de la communauté au jour le jour. Son souci serait que tous et toutes aient la possibilité de mener au moins une vie décente.


L’accueil de l’étranger, une question de justice

Pour Roswitha Ebner-Golder, l’accueil de l’étranger est une question de justice, dans la ligne de l’enseignement de Jésus : « Jésus s’identifie à l’étranger, à l’homme maltraité, à l’affamé et au malade. Je crois que nous avons là avec Mt 25 ce commandement et cette promesse que, si nous agissons en faveur de quelqu’un de mal loti, nous le faisons pour Jésus ; et je crois que c’est ça ma motivation, changer leur sort, parce que le Royaume de Dieu est un royaume de justice. Il consiste aussi à suivre le commandement du Christ, à me préoccuper de mon prochain, surtout du prochain souffrant ».


L’unité de l’ensemble, un défi de taille

La communauté chrétienne latino-américaine de Genève se développe avec son foisonnement de langues, de peuples et de couleurs. L’unité de cet ensemble disparate ne va pas de soi, mais constitue un véritable défi, d’autant plus que la plupart des membres et amis de l’église n’avaient pas jusqu’ici de culture ecclésiale. Faire cœxister des croyants de souche avec de nouveaux croyants ne va pas sans complications. Ici, tout ce monde a besoin selon son expression de « se convertir les uns aux autres pour former le corps du Christ à Genève, bigarré, coloré, multiconfessionnel, multiculturel », tel est le défi que la communauté chrétienne latino-américaine de Genève tente de relever non sans peine, tant il est vrai qu’il est impossible de contenter tout le monde à la fois. « Nous cherchons à les faire vivre en harmonie » affirme Roswitha évoquant ses efforts à réduire les tensions palpables entre Boliviens par exemple. Dans leur pays d’origine, les habitants de l’Altiplano et les habitants de régions plus chaudes et tropicales ne se côtoient guère, entre eux. Ici, à Genève tout ce monde cohabite et partage la vie de la même communauté. La pasteure précise alors son souci pastoral : « J’essaie de leur enseigner que nous sommes toutes et tous des enfants de Dieu et que nous devons former une seule famille spirituelle ; mais ce n’est pas gagné. Cet objectif me fascine et je tâche de le promouvoir ».


Deux communautés linguistiques mais une seule communauté chrétienne

La communauté rassemble non seulement les hispanophones mais aussi les lusophones depuis l’arrivée à Genève du pasteur Jaïro Monteiro, il y a trois ans, accompagné de son épouse (permanente au COE). Ce pasteur brésilien a eu à cœur de rassembler ses compatriotes résidant en Suisse, en moyenne plus jeune que la communauté hispanophone et mieux intégrés localement.


Malgré tous les risques de dislocation, les responsables de la communauté veillent à maintenir la communauté hispanophone et lusophone comme un tout, malgré la barrière des langues et des cultures. Le conseil de l’église règle le problème de communication en procédant à la traduction ou à l’alternance des langues selon le cas, comme la pasteure le laisse entendre : « Au sein du Conseil, chacun parle sa langue, c’est-à-dire l’espagnol et le portugais brésilien ainsi que le français (le représentant de la circonscription francophone). S’il y a des problèmes de compréhension, on demande la traduction. Heureusement, le pasteur Jaïro maîtrise les deux langues et il dit qu’il parle le ' portugnol ' ; il fait par exemple une émission de radio pour les deux branches de la communauté, la méditation, il la fait en espagnol alors que la prière, il la fait en portugais ou vice-versa. Et son accent en espagnol nous aide peut-être aussi à comprendre certaines paroles en portugais. Nous essayons en tout cas, au niveau du conseil, de travailler dans les deux langues ».


L’église, le lieu où s’éveillent et s’exercent des vocations

Nous l’avons compris, la communauté chrétienne latino-américaine de Genève a un cachet particulier de par le parcours de ses membres. Havre de paix et sanctuaire à la fois, l’église permet à des migrants de se poser un instant, de se restaurer au sens propre et figuré et de progresser spirituellement à la plus grande joie de la pasteure : « Certains se souviennent de l’appel que Dieu leur avait adressé par le passé : maintenant, ils peuvent vivre leur vocation ».


Quand Roswitha a ce type de retour, elle a le sentiment de ne pas travailler pour rien : « J’ai beaucoup de satisfaction dans ce travail, dans le sens que j’ai l’impression d’être au bon endroit et au bon moment, même si les échecs ou les frustrations ne manquent pas »… Au contact de ces frères et sœurs migrants, elle affirme ne pas cesser d’apprendre : « j’apprends énormément de ces personnes, de leur persévérance, de leur dévouement pour leur famille ; c’est impressionnant, même si cela me rend triste de penser que des enfants doivent grandir sans leur mère pour avoir une éducation universitaire, et parfois de jeunes universitaires ne pas suivre la route que les parents ont tracée pour eux ».


Leur séjour limité dans le temps

Ces frères et sœurs étrangers, déracinés et résidants sur une terre qui n’est pas la leur, n’ont pas nécessairement la vocation de prolonger indéfiniment leur séjour en Suisse. Leur intégration est rarement une réussite, nous prévient Roswitha, ne fût-ce qu’en raison de la barrière de la langue. Elle-même tente souvent de convaincre ces frères et sœurs de rentrer au pays.


L’église a de l’avenir quand même

La communauté chrétienne latino-américaine à Genève a-t-elle pour cette raison de l’avenir ? Roswitha Ebner-Golder en est convaincue : « Je pense que, tant que ce décalage économique entre l’Amérique Latine et la Suisse existera, la Suisse continuera d’agir comme un aimant attirant ces personnes. Même si la communauté change, même si des personnes rentrent dans leur pays, de nouvelles personnes arrivent, pour lesquelles nous servirons toujours de foyer et de famille spirituelle ».


De fait, cette communauté méthodiste est une communauté en pleine croissance, c’est même de toutes les communautés méthodistes en Suisse celle qui s’accroît le plus et le plus vite avec la création d’annexes à Bienne, à Berne et à Lausanne. Étonnant paradoxe lié certainement au parti pris de Dieu choisissant les gens considérés comme insignifiants pour laisser sombrer dans le néant ceux qui se croient importants (1Co1.28).


Source: EEMNI