L’élection à la présidence de la république ivoirienne de Laurent Gbagbo a donné lieu à de terribles affrontements entre militants et forces de l'ordre après l’évincement du candidat Ouattara avec en solde des dizaines de victimes. La Côte-d'Ivoire compte 15,3 millions d'habitants et 60 ethnies. Le Nord est majoritairement musulman, le Sud est chrétien ou animiste. Le pays compte 35 % d'étrangers, surtout venus du Burkina Faso voisin. Après la mort de Félix Houphouët-Boigny en 1994, la guerre de succession favorise l'émergence d'un nouveau concept, l'«ivoirité», une idéologie de repli identitaire inventée par l'ancien président Konan Bédié pour écarter son adversaire Alassane Ouattara. Depuis 1999 et malgré la chute de Bédié, l'ivoirité empoisonne le débat politique, provoquant des tensions sans précédent entre les ressortissants du Sud, considérés comme des «Ivoiriens de souche», et ceux du Nord, soupçonnés d'être des immigrés.
Dans la volonté d’endiguer l’antagonisme entre le sud chrétien et animiste et le nord musulman, le président Gbagbo convoque ces jours-ci à Abidjan le Forum national de la réconciliation. Toutes les composantes de la société ivoirienne sont appelées à apporter leur pierre au débat national.
Deux organisations religieuses ont été entendues lors de la session du samedi 13 octobre. Ce sont le Conseil national islamique (CNI) et l’Eglise protestante méthodiste. Sept partis politiques sur les onze prévus ont fait leurs communications, les quatre autres ayant fait défection. Le quotidien Fraternité Matin rend compte de l’intervention du pasteur méthodiste Legbedji Aka Bertin en ces termes:
Pour le pasteur Legbedji Aka Bertin qui s’exprimait au nom de l’Eglise protestante méthodiste, les frustrations connues par les uns et les autres gagneraient à être pardonnées. Etant donné qu’en plus de l’histoire qui “nous fait obligation d’être ensemble…, Dieu lui-même nous enjoint de nous réconcilier entre nous. La Bible dit: si donc tu présentes ton offrande à l’autel et là que tu te souviens que ton frère à quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère, puis viens présenter ton offrande”. Ces paroles bibliques imposées selon le pasteur Legbedji par Dieu à l’homme n’ont d’autre sens que de mettre en exergue la “primauté de la personne humaine, l’acceptation courageuse de la confession de ses fautes et dans l’humilité, l’acceptation du pardon de l’autre”. Pour le porte-parole de l’Eglise méthodiste protestante, seul le pardon et l’oubli doivent guider les uns et les autres dans cette réconciliation.
”L’oubli est un facteur essentiel de la création d’une nation. Si donc chaque Ivoirien et chaque groupe ethnique ou religieux, chaque parti politique se reconnaît capable d’une faute et en implore le pardon, il est évident que la nation tout entière lui pardonnera. Car ce qui fait l’essence d’une nation, ce n’est pas que les individus qui la composent aient beaucoup de choses en commun, il faut, avoue le pasteur que tous aient oublié bien des choses”. Pour l’orateur, l’oubli est bien possible de la part des Ivoiriens car, leur a-t-il rappelé, “si nous avons oublié le massacre des Guébié et l’humiliation des Sanwi, pourquoi ne pourrions-nous pas oublier le charnier de Yopougon, une fois que la vérité sur ce charnier aura été établie?” s’interroge-t-il. En réalité, il ne donne pas véritablement le choix à tous les acteurs et victimes de frustrations sinon que de se pardonner. Les renvoyant à leur conscience, il interroge: “Qui d’entre nous peut imaginer les conséquences de l’échec de cette tentative de réconciliation et les assumer?” C’est pourquoi l’homme est convaincu que “la réconciliation s’impose à nous comme un impératif catégorique et nous avons la responsabilité morale d’y parvenir”.
Il a surtout insisté sur la bonne foi des uns et des autres qu’il a qualifiée de “vérité dans les frustrations” et “sincérité dans le mal commis”. Pour la réussite de la réconciliation, avant d’en arriver au pardon et à l’oubli, le pasteur Legbedji a plaidé pour la vérité dans les frustrations: “Que celui qui a été lésé dise le mal dont il a été victime, les frustrations, les souffrances qu’il a endurées. Cela doit être dit dans la vérité. Il faut entendre ici par vérité ce qui est fiable, ce qui a de la consistance, de la sérénité et sur quoi par conséquent, on peut reposer”. Il ne sert à rien, selon lui de “mentir sur les autres et de s’offrir ainsi pas hypocrisie en victime expiatoire”. Vu l’importance de cette rencontre qui permet aux victimes d’exactions de se libérer, le porte-parole de l’Eglise Méthodiste a insisté sur la nécessité de s’entendre à nouveau. Nécessité basée certes sur la vérité dans la relation des faits et frustrations, mais aussi sur la reconnaissance du “mal que l’on a fait aux autres”. Renvoyant chacun à son conscience, le pasteur a souhaité que prime la sincérité. Celle-là même qui ”rend l’homme ouvert au dialogue et qui est pour une société pluraliste comme la nôtre, la base de toute tolérance”, a prévenu le pasteur Legbedji, au nom de l’Eglise protestante.
Marceline GNEPROUST-K.
Source: FRATERNITÉ MATIN