COE : la fonte des glaciers du Mont Kenya et du Kilimandjaro impose la prise de mesures immédiates

Par Frederick Nzwili (*)


"Quand j'étais enfant, l'eau de la rivière était si claire qu'on pouvait voir les pierres de son lit. Rien n'était aussi facile que de pêcher des truites, et nous pouvions voir notre reflet dans l'eau", déclare le professeur Jesse Mugambi, membre du groupe de travail du Conseil œcuménique des Eglises (COE) sur les changements climatiques. "Mais ensuite, nous avons commencé à cultiver le café et le thé. D'abord, les rivières ont été polluées par l'érosion, puis c'est l'eau qui a disparu."


Jesse Mugambi, qui enseigne la religion et la philosophie à l'Université de Nairobi et joue un rôle éminent dans les discussions sur l'évolution du climat, se réfère ici au mont Kenya, qui a perdu la plus grande partie de ses glaciers à cause du réchauffement. Maintenant, de septembre à mars, les rivières naguère alimentées par la fonte des neiges sont à sec. "C'est dire à quel point le problème est grave", déclare-t-il.


Le professeur Mugambi a présenté un exposé sur "Les conséquences des changements climatiques sur l'accès à l'eau potable" lors d'une conférence sur l'eau, organisée sous l'égide des Eglises du 21 au 25 mai à Entebbe, Ouganda. Sur les rives du lac Victoria, le plus vaste d'Afrique, près de 70 participants venus de 25 pays, dont des responsables d'Eglises, des théologiens, des experts dans le domaine de l'eau et des coordinateurs de projets, ont discuté du rôle des Eglises face à la crise de l'eau en Afrique.


La conférence était organisée par le Réseau œcuménique de l'eau (ROE), avec la collaboration du Conseil chrétien mixte d'Ouganda, de la Conférence des Eglises de toute l'Afrique (CETA) et de l'Association de coopération et de recherche pour le développement (ACORD) basée en Ouganda. Le ROE est dû à l'initiative d'Eglises, d'organisations et de mouvements chrétiens qui affirment que l'eau est un droit humain et défendent le droit de chacun à y avoir accès, grâce à des initiatives communautaires dans le monde entier.


La conférence portait essentiellement sur l'approvisionnement en eau et l'accès à celle-ci dans les régions rurales de l'Afrique, sur les initiatives communautaires dans ce domaine, sur le droit à l'accès à l'eau, ainsi que sur les facteurs sociaux, politiques et économiques en rapport avec ces problèmes. On peut lire dans les documents de la conférence qu'en Afrique sub-saharienne, l'approvisionnement en eau potable salubre de plus de 300 millions de personnes n'est pas assuré en quantité suffisante. Sur les 28 millions d'habitants de l'Ouganda, par exemple, 32% n'ont pas accès à l'eau salubre.


En ouvrant la conférence le 21 mai, Madame Miria Mutagamba, ministre ougandaise de l'Eau et de l'Environnement, a vivement engagé les Eglises à former les habitants de l'Afrique à la gestion de l'eau. "C'est votre devoir", a-t-elle déclaré, "vous êtes présents dans les communautés, elles vous écoutent. Je vous en prie, aidez nos communautés à comprendre le bon usage de l'eau."


En plus d'exposés relatant des expériences communautaires et mettant en évidence les bonnes pratiques, les participants ont entendu les avertissements d'experts concernant la fonte des glaciers et des neiges sur les deux plus hautes montagnes d'Afrique orientale, le mont Kenya et le Kilimandjaro.


Ces neiges et ces glaciers alimentent les rivières qui coulent sur les flancs des montagnes, mais du fait de leur fonte, voire de leur disparition, les riverains n'ont plus suffisamment d'eau pour l'usage domestique ou agricole. De tels cas commencent déjà à se produire et la survie des communautés se trouve menacée à cause de la pénurie d'eau. Des luttes s’engagent pour l'eau, les pâturages et les terres arables.


La disparition de la glace sur ces deux sommets provient de l'élévation des températures due aux activités humaines. Selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), créé sous les auspices des Nations Unies, l'effet de serre se traduira par une augmentation des températures de 1,4 à 5,8°C d'ici à la fin de ce siècle, ce qui occasionnera environ 20% de la pénurie d'eau à l'échelle mondiale.


"Si, à la suite de nos actions, nous provoquons la diminution des précipitations sur le mont Kenya et le Kilimandjaro, nous allons pratiquement unir le Sahel - au sud du Sahara - et le Kalahari - en Afrique australe", explique le professeur Mugambi. "L'industrialisation des pays développés s'est faite au détriment de l'écologie, et la majorité des victimes ne sont pas responsables du réchauffement de la planète."


Seth Kitange, co-secrétaire à l'approvisionnement en eau du district de Hai, projet soutenu par l'Eglise évangélique luthérienne de Tanzanie (ELCT), explique que la fonte des neiges du Kilimandjaro n'est pas un mystère: "Elle a pour résultat que les systèmes traditionnels d'irrigation par canaux, qui existaient déjà avant la colonisation, ne sont plus alimentés en eau, ce qui affecte les moyens d'existence des habitants."


Les pentes du Kilimandjaro, sur lesquelles vivent un demi-million d'habitants, dont beaucoup de luthériens, souffrent également du déboisement. Comme l'explique Seth Kitange, ces gens n'ont pas fait fondre la glace, mais ils ont abattu la plupart des arbres pour obtenir du bois de construction et du combustible sans en planter de nouveaux, d'où l'érosion. "Lorsque la couverture boisée des terres disparaît, l'économie souffre, les gens souffrent, et l'Eglise souffre également, parce que l'Eglise, ce sont les gens."


Tous ceux qui espèrent revoir les sommets complètement recouverts par la neige devront attendre des décennies, même si on prend dès maintenant des mesures pour sauver les glaciers. Au cours de cette période, explique le professeur Mugambi, on pourrait assister en Afrique orientale aux premières migrations causées par le climat. "Voilà pourquoi nous devons agir dès maintenant. Le meilleur exemple que nous puissions prendre est celui d'un arbre: il faut 50 ans pour qu'il atteigne sa maturité, mais 5 minutes pour l'abattre. Il a fallu des millénaires pour que les glaciers se forment sur les montagnes, et une cinquantaine d'années pour les faire disparaître."


Dans la région du mont Kenya, des communautés chrétiennes unissent leurs forces pour ériger de petits barrages sur les torrents et les rivières qui dévalent les pentes de la montagne. Elles espèrent ainsi améliorer les conditions de vie des habitants et encourager la production agricole.


Au Kilimandjaro, l'ELCT a mis sur pied une grande campagne de reboisement qui encourage les enfants arrivés à l'âge de la confirmation à planter pas moins de 10 arbres et à s'en occuper pendant deux ans. Elle mène aussi des campagnes de conscientisation sur la disparition de la couverture boisée.


"A diverses époques de l'histoire de l'Afrique - esclavage, colonialisme, apartheid en Afrique du Sud", déclare le professeur Mugambi, "l'Eglise du Christ s'est trouvée aux côtés de ceux qui souffraient et étaient exploités. Maintenant, son rôle consiste à venir en aide à ceux qui sont victimes de la pénurie d'eau."


30/05/2007


(*) Frederick Nzwili est un journaliste indépendant du Kenya. Il est actuellement correspondant de l'agence de presse ENI (Nouvelles œcuméniques internationales) à Nairobi, capitale du Kenya.


Source: Conseil oecuménique des Eglises (COE)