Le pasteur Samuel Loko, Secrétaire général de l’Eglise méthodiste du Togo
Le mensuel protestant MISSION, organe d’information du DEFAP, consacre un article complet à la situation des églises méthodistes au Togo et au Bénin. L’article est signé du missiologue Marc Muller.
Au Togo et au Bénin, les Eglises méthodistes s’interrogent sur l’influence des mouvements pentecôtistes dans leurs communautés. Entre la crainte des dérives et la nécessité de répondre “à la demande”.
Quelque cinq cents personnes sont réunies ce dimanche pour le culte de la paroisse méthodiste de Salem à Lomé. Après l'entrée en procession des quatre chorales, des diacres puis des pasteurs, la liturgie très classique suit un rituel ne laissant aucune place à l'improvisation.
Les voix sont toniques, claires et justes pour un cantique des Ailes de la foi traduit dans la langue majoritaire au sein de l'Église, le mina, ou pour un extraordinaire Aléluiah de Haendel. Certains hymnes sont accompagnés à l'orgue avec des percussions. Le rythme invite à une danse sobre, en mouvements légers de gauche à droite, chacun restant à sa place.
Le pasteur Salomon Loko est chargé de la prédication ce matin. Il commente l'évangile de Matthieu: « vous êtes le sel de la terre, mais si le sel perd sa saveur.., ? »Avec énergie, il appelle à la conversion, dénonçant certains comportements allant à l'encontre d'une vie consacrée au Seigneur: querelles intestines, pratiques vaudous, baptêmes achetés à des pasteurs peu scrupuleux. Salomon est connu pour son franc-parler. Devenu secrétaire général de l'Église méthodiste du Togo (EMT) voici deux ans, à l'âge de 47 ans, son expérience et sa rigueur lui donnent une certaine autorité. Après ses études à Porto Novo (Bénin) puis à Yaoundé (Cameroun), il a été envoyé en brousse pour son premier poste en paroisse, dans le « circuit» de Tabligbo, à la frontière béninoise. « Enfant de la capitale, j'ai découvert la vie au village, sans eau courante ni électricité, et il fallait effectuer tous les déplacements à pied ou en vélo. Durant sept années, j'ai compris l'abîme qui sépare la ville de la campagne, dans mon pays », C'était une découverte pour lui, il en a été marqué, se sentant plus proches des gens, de leurs préoccupations et de leurs besoins.
Ultérieurement, sur Lomé, outre le travail paroissial, il a été responsable d'aumônerie pour les prisons, les hôpitaux et collèges. Pendant quatre ans, il a été envoyé de la Communauté d'Églises en mission (Cevaa) à l'Église réformée de Centrafrique, dans la paroisse du Christ Roi à Bangui: « C'était difficile au début, je me suis heurté aux conservatismes d'une Église repliée sur elle-même, peu portée à l'évangélisation. Mais la persévérance est récompensée car un esprit d'ouverture semble y souffler aujourd'hui ». De retour au pays en 2006, il a eu la surprise d'être nommé secrétaire général de son Église dans un contexte de crise: « On m'en a informé alors que j'étais à Paris, participant à l'échange de pasteurs organisé par le Defap ». La tâche est rude et les défis nombreux. l'EMT est petite et fragile, avec vingt-cinq pasteurs et cinq fois plus de communautés.
La comparaison avec sa voisine la plus proche, la puissante Église évangélique presbytérienne (EEPT), membre aussi de la Cevaa, lui fait craindre d'être avalée. Elle est surtout implantée au sein de l'ethnie Mina, au Sud-Est du Togo, mais elle doit créer des paroisses nouvelles, surtout dans les villes, si elle veut subsister et croître. Pour Salomon, l'avenir est ouvert: « Il faut être soumis à l'Esprit et être capable d'exigence personnelle, de refus de la médiocrité».
Miracles et guérisons
Comme toutes les dénominations protestantes anciennes en Afrique noire, le méthodisme est confronté à l'influence grandissante des Églises indépendantes africaines, dont le « christianisme céleste» (voir encadré), et au courant charismatique. Celui-ci donne naissance à une multitude de communautés attirant des fidèles en quête de manifestations miraculeuses, en particulier des guérisons. Le mouvement est aussi émergent à l'intérieur de l'Église et suscite des controverses. Certains pasteurs se spécialisent dans l'exorcisme et la guérison des malades. Ils réduisent le sens de leur groupe de prière à cette seule activité. Est-ce par conviction, en raison d'un don reçu, ou est-ce par stratégie, par opportunisme?
Dans l'Église méthodiste du Bénin (EPMB), le même phénomène s'observe. La pasteure Chantal Gohungo Vianou s'inquiète de cette « pentecôtisation » : « Les gens sont moins sensibles à une relation personnelle avec Dieu; ils veulent des miracles. La pratique de l'imposition des mains sur les malades n'est ni encouragée, ni interdite, puisqu'elle est attestée bibliquement. Le sujet revient régulièrement dans les synodes mais on ne tranche pas, par prudence. Le souci pastoral et la prière pour les souffrants, là est l'essentiel». L'Église méthodiste se distingue radicalement du catholicisme ou du christianisme céleste syncrétiste. Estelle élitiste par son intransigeance à l'encontre des religions endogènes, comme le vaudou? Chantal en convient: « Les missionnaires ont condamné la médecine traditionnelle. Or, la médecine des blancs est trop chère et certaines Églises veulent promouvoir une médecine pour les noirs. Le don des méthodistes n'est pas le ministère de délivrance, mais la prédication. Chacun est libre et appelé à faire des choix pour sa vie à l'écoute de l'Évangile».
Simon Dossou, président de l'EPMB, minimise l'impact des pentecôtistes sur les membres de son Église. Cela souligne néanmoins l'importance de la formation sans céder à un intellectualisme desséchant. « La situation économique dégradée n'y aide guère. Comme dit le proverbe: les épines que nous avons aux doigts nous empêchent d'enlever celles que nous avons aux pieds». Une traduction serait: les problèmes quotidiens nous empêchent souvent d'avancer et d'approfondir même les questions spirituelles.
Salomon Loko écarte les malentendus: « il y a toujours eu une tendance charismatique dans l'Église méthodiste, à travers les manifestations de l'Esprit Saint, le parler en langues, la prophétie, les visions lors des veillées de prières. Les pentecôtistes se sont inspirés du méthodisme dans le sillage de John Wesley. Ils ont fait ce que nous n'arrivions plus à faire faute de manifestation des dons de l'Esprit. Aujourd'hui, des pasteurs veulent réveiller leur paroisse, mais cela ne se décrète pas. Il faut en recevoir le charisme».
Le culte de la paroisse de Salem se termine par le repas de communion. La sainte cène est un moment de solennité particulière. Ce moment souligne à nouveau l'importance de la foi intérieure et le socle de la piété personnelle: les hosties et le vin sont distribués individuellement à chacun par les pasteurs devant lesquels les fidèles se présentent avec révérence. Après la bénédiction finale, l'assemblée entonne un hymne recueilli, la procession se reforme et sort au pas cadencé.
Le méthodisme sur la côte occidentale de l'Afrique
Les méthodistes mettent l'accent sur le salut universel (par opposition à la double prédestination de Calvin), la conversion, l'assurance du pardon et du salut, la justification par la foi et la sanctification. La prière personnelle est fondamentale: par ce moyen, les croyants gardent un contact étroit avec leur Seigneur pour être guidés dans une vie plus sainte.
Chaque année au mois de mai, une semaine est consacrée à un enseignement sur la vie et l'oeuvre de John Wesley (1703-1791), le fondateur du méthodisme. Le récit de la conversion est lu dans les communautés de l'Église méthodiste du Togo, pour servir de modèle. « Se convertir est un acte nécessaire, mais intérieur. »
En 1838, le missionnaire britannique Thomas Freeman arrive au Ghana et fonde une station méthodiste. L'étape suivante est le Nigéria, en 1842. L'année suivante, il remonte sur le Dahomey (aujourd'hui le Bénin) et établit une Église à Porto Novo. Son oeuvre d'évangélisation sur Aneho, berceau du méthodisme togolais. Ces quatre Églises restent en contact pour avoir formé un district de l'Église méthodiste de Grande-Bretagne. L'Église de Côte d'Ivoire s'y est ajoutée en 1925 avant de former son propre district. Progressivement chacune d'elles prendra son autonomie. Les Églises du Bénin et du Togo restèrent unies jusqu'en 1978. L'Église togolaise est la dernière à devenir indépendante, en 2000.