France: Nicolas Sarkozy écrit aux Eglises

« La Croix» publie le contenu de trois lettres adressées aux chefs des Églises chrétiennes en France, justifiant le projet de loi sur l'immigration qui sera débattu début mai. Le ministre de l'intérieur se déclare prêt à des amendements



Une lettre aux Églises. Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur, a adressé trois lettres aux plus hauts représentants des Églises chrétiennes en France, pour les «convaincre» de «l’impérieuse nécessité d’une transformation de notre politique d’immigration». Trois lettres, dont La Croix publie le contenu, qui préparent le 2 mai prochain, la présentation, à l’Assemblée nationale, par le ministre, d’un projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration. 


Trois destinataires surtout, le cardinal Jean-Pierre Ricard, président de la Conférence des évêques de France, le pasteur Jean-Arnold de Clermont, président de la Fédération protestante de France, et Mgr Emmanuel, président de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France.


Le contenu de la missive diffère peu selon les destinataires, sinon que la lettre destinée au cardinal Ricard est une réponse à une intervention très active menée, sur ce dossier, depuis début février par l’Église catholique. En revanche les deux lettres adressées aux protestants et aux orthodoxes sont une invitation du ministre, à ces responsables, pour venir discuter de ce projet de loi place Beauvau.


Une Église catholique en pointe donc face à ce projet de loi, même si elle n’est pas isolée puisque le Conseil d’Églises chrétiennes en France vient d’écrire une lettre commune au premier ministre pour s’alarmer de la teneur de ce projet de loi.


Pour ce qui est de l’Église catholique, l’affaire remonte au début du mois de février. Mgr Olivier de Berranger, évêque de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), demande, en tant que président de la Commission épiscopale pour la mission universelle, à rencontrer le ministre de l’intérieur pour lui faire part des questions de l’Église catholique sur son projet de loi. « La réponse a été tardive, confie-t-il, il y avait la crise du CPE, mais M. Sarkozy nous a finalement proposé un rendez-vous le lundi 10 avril».


«Le codéveloppement n’est pas assez pris en compte»


L’évêque est reçu pendant une demi-heure, accompagné par Mgr Claude Schockert, évêque de Belfort-Montbéliard, chargé notamment de la question des migrants, et Mgr Stanislas Lalanne, secrétaire général de la Conférence des évêques. 


« L’entretien a été cordial mais ferme, raconte Mgr de Berranger. Ce n’était pas un dialogue de sourds. Nous avons senti quelqu’un prêt à écouter même si chacun restait dans son rôle. Il s’agissait de mettre noir sur blanc les points de difficultés que nous exprimions pour d’éventuelles retouches que le ministre insérerait dans son texte de loi s’il le jugeait nécessaire».


Noir sur blanc à tel point que fut décidée une seconde séance de travail, plus technique, trois jours plus tard, le Jeudi saint, rue du Bac cette fois, au siège de la Conférence des évêques, où le ministre envoya deux de ses conseillers, le directeur juridique de son cabinet, Guillaume Larrivé, et Stéfane Fratacci, directeur des libertés publiques. 


Autour de la table, les mêmes représentants des évêques assistés de deux experts, l’un du Secours catholique et l’autre de la Cimade, service oecuménique d’entraide. L’Église catholique, explique Mgr de Berranger, a alors pu exprimer dans le détail, « huit points de sérieuses inquiétudes » dans un ordre très précis, une critique en règle du projet de loi.


Le premier d’entre eux porte sur « la question du codéveloppement ». « Il n’est pas assez pris en compte dans le texte, estime Mgr de Berranger. Comment ne pas intégrer dans une perspective à long terme une loi sur le développement ? C’est une des causes de l’immigration, cela doit apparaître plus clairement».


Vient ensuite « la réalité incontournable des sans-papiers », qui seraient entre 200 000 et 400 000 en France. «Le projet de loi, tel qu’il est, risque d’en accroître le nombre, observe la même source. Ceux qui piétinent, piétineront encore longtemps».


Une mise en garde des associations contre ce projet de loi


Troisième point, « la précarisation des familles et des enfants », au nom de la lutte contre la clandestinité. Quatrième critique : le « resserrement des conditions d’accueil des réfugiés ». Vient ensuite « l’allongement des délais pour obtenir les papiers et le regroupement familial »


Sixième point, « le rôle accru des consulats, ce qui va retarder encore les procédures », selon Mgr de Berranger. Septième inquiétude, « une approche unilatérale de l’intégration où l’on demande plus d’efforts aux immigrants et non à ceux qui accueillent ». Dernière pointe, « l’inégalité des migrants, choisis selon le niveau de formation ».


En fait, la lettre envoyée, mercredi 19 avril par le ministre au cardinal Ricard, qui voudrait conclure ces deux rendez-vous, « ne nous rassure pas », ajoute Mgr de Berranger. « Nous ne voulons ni interférer dans la laïcité, ni polémiquer, ni jeter de l’huile sur le feu, précise-t-il. Nous sommes dans notre rôle et voulons juste être entendus pour faire bouger les choses. Nous avons l’impression d’avoir été écoutés mais pas totalement compris»


Ce qu’il redoute ? « Il y a là un procédé électoraliste, cette loi allant dans le sens majoritaire de l’opinion. Nous sommes d’accord, la situation actuelle n’est pas saine mais ne laissons pas croire que l’on peut la résoudre avec des modifications d’ordre juridique, à la marge, alors qu’il faudrait traiter les causes des migrations».


L’Église catholique avait voulu rester discrète sur ces discussions. Le débat est maintenant sur la place publique. Lundi 24 avril, 45 associations chrétiennes devrait publier une déclaration allant dans le même sens : une mise en garde contre ce projet de loi.


Jean-Marie GUENOIS


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Les chiffres de l’immigration

4,3 millions d’immigrés en France


Selon le dernier recensement de l’Institut national de la statistique et des études démographiques (Insee) réalisé en 1999, la France métropolitaine compte 4,3 millions d’immigrés, soit 7,4 % de l’ensemble de la population. Plus du tiers d’entre eux ont acquis la nationalité française. Environ 190 000 immigrés résident dans une collectivité : foyer de travailleurs, maison de retraite ou centre d’hébergement. Précisons qu’un étranger né en France n’est pas considéré comme un immigré.


Répartition des immigrés par pays d’origine


Les Européens représentent 45 % des immigrés installés en France. Les Portugais (13,3 %) sont les plus nombreux, suivis des Italiens (8,8 %), des Espagnols (7,4 %), des Polonais (2,3 %), les autres pays d’Europe représentant 13,2 % du total.


Les Africains regroupent 39,3 % de cette population, avec une forte prédominance des Algériens (13,4 %), des Marocains (12,1 %) et des Tunisiens (4,7 %).


Les Asiatiques représentent 12,7 % des immigrés dont 4 % de Turcs, et 3,7 % de Cambodgiens, Laotiens et Vietnamiens.


Enfin, 3 % des immigrés de France sont originaires de l’Amérique et de l’Océanie.


Plus de familles que de personnes seules


Sur 4,3 millions d’immigrés en France, 3 380 000 vivent en famille, 2 680 000 sont en couple, 490 000 sont des enfants et 210 000 des chefs de famille monoparentale. Plus de 6 personnes immigrées sur 10 sont mariées, contre seulement 4 sur 10 pour l’ensemble des personnes résidant en France. À noter, par ailleurs, que près d’un million d’immigrés vivent avec une personne non immigrée, ce qui constitue autant de « couples mixtes ».


Des titres de séjour en baisse


Le nombre de titres de séjour délivrés aux étrangers a baissé de 2 % en 2004 pour s’établir à 164 234. En revanche, l’immigration pour motifs familiaux ne cesse d’augmenter depuis 2000. Plus de 102 000 personnes ont reçu un titre de séjour en 2004, dont 24 % au titre du regroupement familial, contre 63 000 quatre ans plus tôt.


19-04-2006

Source: La Croix