Une cinquantaine d’instances de toutes Églises ont signé lundi 24 avril un appel pour alerter l’opinion avant le débat sur le projet de loi de Nicolas Sarkozy concernant l’immigration et l’intégration Martine DE SAUTO revient dessus.
« Nous souhaitons éclairer les consciences, de manière juste à l’égard du gouvernement, et honnête vis-à-vis de l’opinion », a expliqué Jean-Pierre Richer. Le président du Secours catholique reconnaît des aspects positifs au projet du ministre de l’intérieur : la nécessité de l’immigration y est reconnue, comme celle de faciliter l’intégration (création d’une « journée de la fraternité ») ; le vocabulaire outrageant est supprimé ; la possibilité d’amendements reste ouverte. Il est «légitime en démocratie» qu’un gouvernement cherche à tirer un profit électoral d’un texte, admet par ailleurs Jean-Pierre Richer.
Reste cependant à s’interroger : ce projet sert-il l’intérêt du bien commun ? «Non», affirme le président du Secours catholique. D’abord, parce qu’il n’évoque pas la dimension internationale de l’immigration et ne prend aucun engagement en matière de solidarité Nord-Sud.
"La règle devient la carte de séjour temporaire"
Ensuite, parce que « l’esprit » même du projet de loi – « xénophobe et xénophile par exception », affirme Pierre Richer – pose problème : « Il élève des barrières en mettant en place des portillons tout juste entrebâillés et seulement par utilitarisme, qui laisseront passer les bons immigrants et rejetteront ceux qui fuient simplement la misère pour gagner un pays qu’ils imaginent de cocagne », explique le président du Secours catholique, avant de poser la question : «Combien de temps, faute d’un dialogue multilatéral, ces murailles tiendront-elles à la porte des riches ?»
« Ce projet ne présente aucune disposition positive», souligne pour sa part Patrick Peugeot, président de la Cimade (association œcuménique d’entraide), avant de lister les mesures qui, selon lui, posent le plus problème. En premier lieu : « la limitation grave du droit de vivre en famille », qui était l’un des « piliers » de la politique d’immigration.
« Le délai pour solliciter un regroupement familial est allongé, explique-t-il. Le conjoint et les enfants entrés en France devront par ailleurs attendre trois ans pour solliciter une carte longue durée, délivrée par la préfecture avec un risque d’arbitraire. Ces exigences vont fragiliser le lien conjugal et familial».
Une précarisation renforcée du statut, ensuite. Toujours selon Patrick Peugeot, «les conditions pour obtenir la carte de long séjour, valable dix ans et qui permet une véritable intégration, sont durcies. Il faudra désormais prouver son intégration avant d’obtenir le statut qui la permet ! Plus grave, ces cartes seront délivrées selon le pouvoir discrétionnaire de l’administration. La notion de délivrance “de plein droit”, instaurée en 1984, disparaît quasiment. La règle devient la carte de séjour temporaire, c’est-à-dire la précarité !»
Enfin, l’obligation de présenter un visa de long séjour pour accéder au séjour. «Cette condition, qui renvoie sur les consulats, revient à obliger le conjoint d’un Français dépourvu d’autorisation de séjour à repartir chercher un visa, déplore le président de la Cimade. Cela implique une séparation du couple pour une durée impossible à déterminer, des frais importants, et un retour impossible pour ceux qui encourent des risques dans leur pays d’origine. De nombreux conjoints vont préférer rester en France sans titre de séjour, et viendront grossir les rangs des sans-papiers.»
«Il est impossible que les chrétiens ne prennent pas la parole»
José Da Silva reprend ce dernier argument. « Nous allons assister à une multiplication du nombre de personnes sans papiers qui vont vivre la clandestinité à perpétuité, à la merci des filières de logeurs et d’employeurs et en proie à une désespérance croissante », prévoit le directeur du Service national de la pastorale des migrants, qui craint en outre une « déshumanisation » de la société.
Ce projet de loi, « restrictif et irréaliste dans sa vision », traduit un recul des droits fondamentaux et une précarisation accrue, résume Joël Thomas, président du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), qui regrette que le gouvernement prenne les choses « à l’envers », « occulte » les véritables causes de l’immigration, et fasse percevoir celle-ci « comme une menace » et non comme « une source d’enrichissement ».
Cette campagne d’opinion, à la suite de la prise de position de l’Église catholique risque d’être « mal comprise », voire « de heurter » une partie des chrétiens. Les signataires le savent. « Notre métier n’est pas de faire de lobbying parlementaire », précise le président du CCFD, qui compte néanmoins, comme Patrick Peugeot, sur la vigilance et la mobilisation des militants, notamment lors des manifestations prévues en fin de semaine.
« Il est impossible que les chrétiens ne prennent pas la parole », insiste José Da Silva, qui rappelle que la dernière fois que les Églises et les diverses organisations avaient lancé collectivement un appel, c’était il y a dix ans, en 1996 : précisément à propos du projet de loi Debré sur l’immigration
24-04-2006
Source: La Croix