L’évêque Patrick Streiff lors du Culte d’ordination sur l’Aire de Jeux à Interlaken
Dans sa prédication, l’évêque Patrick Streiff est parti d'un texte biblique favori de John Wesley: «la foi opérant par la charité» (Ga 5.6). Il a noté qu'une telle foi ne pose pas d'abord la question des frontières, mais entend aller au-delà des limites établies. Elle entend franchir consciemment les limites de la zone de confort, pour y vivre la foi agissant par l’amour, pour briller autour de soi de la lumière même du Christ.
Alors l’Église évangélique méthodiste se trouve divisée à l’échelle du monde entier sur la question de l’homosexualité, l’évêque Patrick Streiff souligne l’urgence de d’écoute : « il faut d’abord une écoute, une discussion empreinte de respect mutuel, plutôt qu’un échange à coup de convictions personnelles. Une base commune ne pourra être trouvée que dans l’écoute des contextes différents de nos pays et une réflexion sur ce Christ unique que nous suivons. Et encore, là où nous avons des avis opposés, il faut d’abord écouter quel chemin l’autre personne a parcouru avec le Christ. ».
Tout comme les Africains se rencontrent sous l'arbre à palabre pour écouter, comprendre avant de prendre des décisions ensemble, nous devons, nous aussi, d'abord nous asseoir et nous écouter les uns les autres dans l’Église. Nous réussirons ensuite à nous découvrir dans notre diversité, et à comprendre l’expérience et le vécu même des autres. Notre diversité et nos différences nous inciteront à plus de miséricorde. « Il pourra alors se produire que la diversité et les différences ne soient plus ressenties comme des menaces, mais comme une incitation à plus de miséricorde et à un être- ensemble empreint d’amour ». La prédication de l’évêque s’achève par le voeu apostolique: « Puisse votre foi devenir active par l'amour, de plus en plus … » « Nous avons besoin d’ «arbres à palabre» dans l’EEM ! C’est là que nous pouvons apprendre à vivre une foi agissant par l’amour. »
Prédication: „La foi agissant par l’amour “ (Ga. 5,6)
Lectures : (Psaume 36), Matthieu 5,13-16
Évêque Patrick Streiff
1) Avec Wesley: „Bien envoyé“
„Bien envoyé“ – c’est le thème de la Conférence annuelle. Si l’on avait demandé à John Wesley quelle parole biblique résumait à son sens le mieux la quintessence de l’Evangile, il aurait peut-être répondu avec un de ses versets préférés : « La foi agissant par l’amour. »
La phrase est de l’apôtre Paul. Il l’a écrite aux jeunes communautés chrétiennes de Galatie. Elles avaient été déstabilisées par d’autres chrétiens d’origine juive, à propos de ce qu’est vraiment l’évangile. Ces autres judéo-chrétiens disaient qu’il faut devenir juif pour pouvoir être chrétien ; il fallait donc accepter le signe de l’alliance juive, la circoncision, et respecter toute la loi juive. Paul a répondu aux Galates que la vie d’un chrétien repose uniquement sur la foi en Christ et que toute la loi s’accomplit dans le double commandement de l’amour. Ce qui est aussi l’essence de la liberté chrétienne. En son temps, Paul a surmonté la frontière le séparant d’avec ceux qui étaient, à l’époque, « impurs » aux yeux des Juifs. C’est pourquoi il écrit aux Galates :
Car pour celui qui est en Jésus Christ, ni la circoncision, ni l’incirconcision ne sont efficaces, mais la foi agissant par l’amour. (Ga 5,6)
Pour Wesley, la réponse de Paul était l’un des versets bibliques les plus importants. Dès son jeune âge, le double commandement de l’amour a représenté pour lui l’incarnation et le but de toute obéissance à Dieu. Il espérait ainsi grandir dans la foi pour ensuite obtenir le salut. Poussé par des prédicateurs moraves et stimulé par l’avant-propos de Luther à l’épître aux Romains, il acquit la certitude personnelle de la grâce de Dieu. Le message réformateur qui, il y a près de 500 ans, commença à transformer l’Europe, a déclenché chez Wesley une illumination. Ce dont il avait pris conscience intellectuellement dans sa tête est devenu dans son cœur une certitude imméritée. Le cadeau inouï d’avoir la conviction profonde d’être aimé de Dieu et de faire entièrement confiance à Dieu est devenu en lui le moteur l’animant à vivre d’autant plus et de toutes ses forces le double commandement de l’amour, d’abord l’amour pour Dieu et ensuite l’amour de son prochain. Pour lui, c’était l’évangile conforme à l’écriture ou, de manière plus pointue, la foi agissant par l’amour.
Chez les premiers méthodistes, tous étaient bienvenus, qu’ils soient en recherche ou qu’ils soient croyants. Wesley voulait que dans les assemblées méthodistes tous, dès le premier jour, ne fassent pas le mal, fassent le bien et fassent usage de tous les moyens de grâce institués par la grâce de Dieu (voir les Règles générales des méthodistes). Il ne pouvait être question de remettre à plus tard, comme s’il fallait d’abord obtenir la conviction du salut ou trouver plus d’unité dans la communauté avant de pouvoir se rendre à l’extérieur et y pratiquer l’amour. Wesley n’avait cure de telles restrictions. Pour lui, chaque rencontre avec des personnes en recherche et des nécessiteux était une rencontre avec le Christ: „Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25,40). Vivant un amour agissant, Wesley a toujours franchi des frontières, p.ex. quand il a été l’un des rares dirigeants ecclésiastiques à s’engager résolument contre la traite des esclaves et la possession d’esclaves dans les colonies, cependant que d’autres s’appuyaient sur la Bible pour justifier qu’en tant que chrétien, on pouvait posséder des esclaves.
2) Nos communautés vivent-elles l’évangile conforme à l’écriture de la foi agissant par l’amour?
J’ai grandi dans l’EEM de Birsfelden, où j’ai passé mon enfance et ma jeunesse. J’y ai fait l’expérience de la communion entre chrétiens et j’y ai été instruit dans la foi chrétienne. Je suis reconnaissant pour ces impulsions décisives à oser personnellement l’aventure de la foi en Christ, malgré de nombreuses questions et des doutes.
Dans mon église d’origine, les activités étaient orientées avant tout vers les personnes et les familles appartenant à l’église. Ce n’est qu’en lisant une biographie de Wesley que je me suis rendu compte du fort impact social exercé par les premiers méthodistes anglais. A 16 ans, lors d’un voyage en Angleterre, j’ai été impressionné par le grand nombre d’activités menées par les communautés méthodistes en faveur de personnes en situation de précarité ou de marginalité. La foi en tant que message libérateur qui motive à un engagement allant au-delà des murs de l’église, m’a fasciné.
Je me souviens aussi de certains débats au sein de mon église d’origine de Birsfelden quant aux limites d’une telle ouverture. Par exemple, une grande fête villageoise avait été projetée à l’occasion d’un jubilé de la commune. La parcelle de l’EEM se situait à l’intérieur du périmètre où les stands devaient être installés. Les autorités communales ont posé la question de savoir si l’une de ces cantines pouvait être montée sur le terrain de l’EEM ? L’EEM devait-elle participer de la sorte à la fête du village ou non ? A l’époque, c’était il y a plus de 40 ans, on finit par se résoudre à proposer une cantine où l’on servirait la raclette, toutefois sans y vendre nous-mêmes de l’alcool. A l’époque, c’était un pas courageux par-delà les limites de la zone confortable de la vie paroissiale. De nombreux autres devaient suivre plus tard.
Où, dans vos églises locales, franchissez-vous consciemment les limites de la zone de confort, pour y vivre la foi agissant par l’amour ?
Là où est vécu un évangile conforme à l’Écriture, on trouve toujours par des pas inusités, courageux, allant au-delà des limites établies. Et après coup, nous réalisons combien nous avons reçu lors de telles rencontres.
3) Notre Eglise Evangélique Méthodiste mondiale vit- elle l’évangile conforme à l’Écriture de la foi agissant par l’amour?
La Conférence générale de l’Eglise Evangélique Méthodiste s’est tenue il y a un mois à Portland. Les deux délégués de la Conférence annuelle nous ont présenté leur rapport. Ils ont aussi rapporté à quel point des convictions opposées relatives à la sexualité humaine et avant tout à l’homosexualité, ont amené l’Eglise au bord de la scission. Vous avez peut-être suivi cela vous-mêmes par l’intermédiaire des médias. Les deux extrêmes de l’éventail théologique ont défendu leurs positions respectives avec autant de conviction et d’acharnement l’un que l’autre. Les deux ont demandé au Conseil des évêques de faciliter une „séparation à l’amiable“. Mais en tant qu’évêques, nous nous savons responsables de l’unité de l’Eglise. Nous y voyons une prière et un commandement du Christ plus impératifs que maints termes bibliques que d’autres ont avancé pour étayer leurs positions respectives dans cette guerre de tranchées.
A mon avis, pendant cette Conférence générale, nombre de débats et de positions de principe sous-jacentes ont été marqués par une foi prête à tout sacrifier pour ses convictions et à se battre pour celles-ci au côtés d’autres personnes du même bord. Wesley les aurait appelés des fanatiques religieux (bigots). Ce qui est resté sur le carreau, à mon sens, a été la foi en Christ qui reste agissant dans l’amour. – Je ne sais pas quelle allure pourrait avoir une solution de la question de l’homosexualité dans l’EEM mondiale. Mais je sais au moins une chose: entre membres de l’Eglise venus d’autres cultures et de compréhensions différentes de la Bible, il faut d’abord une écoute, une discussion empreinte de respect mutuel, plutôt qu’un échange à coup de convictions personnelles. Une base commune ne pourra être trouvée que dans l’écoute des contextes différents de nos pays et une réflexion sur ce Christ unique que nous suivons. Et encore, là où nous avons des avis opposés, il faut d’abord écouter quel chemin l’autre personne a parcouru avec le Christ.
Il me paraît que dans tout ce débat sur l’homosexualité, nous sommes beaucoup trop marqués par le style politique polarisant de notre époque. Et dès lors, la miséricorde chrétienne se perd. La culture de l’écoute mutuelle se perd. L’approche se perd, selon laquelle Christ nous rencontre dans l’autre personne. Au début de la Conférence générale, nous avons essayé d’apprendre dans deux unités à pratiquer la conférence chrétienne (« Christian Conferencing »). L’évêque Yemba du Congo a évoqué dans son introduction une image de la culture africaine, celle de l’ « arbre à palabre » sous lequel les villageois se retrouvent lorsqu’il y a conflit. Il arrive qu’ils ne trouvent pas de solution ; ils repartent alors ensemble, paisiblement, et reprennent la discussion plus tard jusqu’à ce qu’ils trouvent une voie salutaire pour toute la communauté. – Nous avons besoin d’ «arbres à palabre» dans l’EEM ! C’est là que nous pouvons apprendre à vivre une foi agissant par l’amour.
4) L’Évangile conforme à l’Écriture ou, de manière plus pointue, la foi agissant par l‘amour
Au-delà de cette pomme de discorde qu’est l’homosexualité, il y a - Dieu soit loué - beaucoup d’autres questions où nous pouvons plus facilement vivre une foi agissant par l’amour. Il est important de ne pas perdre de vue cette réalité positive. On peut y ajouter les exemples que j’ai mentionnés tout à l’heure, qui montrent comment des églises locales franchissent des pas au-delà de leur zone de confort pour vivre au quotidien le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain.
Il y a – Dieu soit loué – dans notre Eglise, comme aussi dans nombres de Conférences annuelles aux Etats-Unis, beaucoup de personnes qui se situent plutôt au centre et non à des extrêmes opposés. J’espère que leur voix deviendra forte pour qu’en dépit de convictions opposées sur ce point particulier, nous puissions continuer à cheminer ensemble en tant qu’Eglise. Il pourra alors se produire que la diversité et les différences ne soient plus ressenties comme des menaces, mais comme une incitation à plus de miséricorde et à un être- ensemble empreint d’amour.
Nous les méthodistes vivons l’Évangile «bien envoyé» conforme à l’Écriture lorsque la foi en Christ nous fait grandir dans l’amour de Dieu et du prochain. Que votre foi devienne agissante par l’amour – à la gloire de Dieu !
Amen.
Traduction Frédy Schmid