Surintendants: « les changements à apporter vont au-delà de l’élaboration de nouveaux programmes »

Comme d'habitude, les quatre surintendants de l'Eglise évangélique méthodiste de Suisse, France et Afrique du Nord présentent leur rapport annuel au cours de la Conférence annuelle. Ils appellent les communautés EEM à se laisser transformer par Jésus-Christ. Quatre membres de l'Église font état face à la Conférence des changements survenus soit dans leur vie personnelle, soit au sein de leurs communautés EEM.

Claudia Haslebacher (district bernois), Jörg Niederer (Suisse orientale), Etienne Rudolph (District francophone) et Stefan Zürcher (Nord-Ouest Suisse) ont déclaré dans leur rapport que l’EEM s’était transformée au fil du temps, passant d'un mouvement missionnaire dynamique à une organisation s’occupant principalement de ceux qui viennent à elle. Sans vouloir dévaluer le travail des communautés de base, ils soulignent que  «… que les changements à apporter vont nettement au-delà de l’élaboration de nouveaux programmes ou la proposition de nouvelles offres ».

Le christianisme n’est pas un passe-temps, mais une histoire d’»identité et d’appartenance» : « Il s’agit donc ici d’abord de mon être profond, de mon identité, de la question de mon appartenance. La réponse à cette question affecte ma vie et mes actes dans leur intégralité », écrivent les surintendants. «Nous sommes saisis par Dieu. Ainsi vivons-nous dans une toute nouvelle dimension, à l’horizon de la vie de Dieu ». «Les chrétiens sont une nouvelle créature, une nouvelle création. Le but de cette nouvelle création n'est pas de se sentir à l'aise et de rester les bras croisés ». Bien au contraire, les chrétiens sont des êtres transformés qui ont reçu un mandat spécifique: être les partenaires de Dieu pour renouveler le monde : « nous sommes choisis par Dieu et devenons de nouvelles créatures pour vivre une vie avec lui. Nous sommes chargés et habilités, en tant que partenaires du Christ, à façonner le monde et à le transformer ». Des membres de quatre paroisses différentes ont souligné à partir de leurs expériences sur le terrain les éléments essentiels du rapport des surintendants.

 

Edith Buschenrieder, membre du comité directeur de la communauté de Mulhouse, et son mari ,ont acheté une nouvelle maison il y a quelques années. Mais comment apprend-on à connaître ses nouveaux voisins? Dans la rue vivent dix familles. Les Buschenrieder utilisent la«Journée des Voisins», célébrée habituellement en France pour inviter chaque année leurs voisins. À cette occasion, ils font volontiers référence à leur foi. D'où l’idée d’organiser une fois par mois une réunion chrétienne. Presque tous les voisins prennent part à cette rencontre où l’on discute de l'Évangile. Les préjugés disparaissent, les barrières tombent, les coeurs s’ouvrent, dit Edith Buschenrieder.

La présidente des laïcs du Nord-Ouest de la Suisse, Sonja Bitterli d'Olten, évoque le journal de quartier, que l’EEM locale publie. La paroisse y a publié l’annonce de chambres à louer dans la chapelle bientôt désaffectée. Une femme a répondu à l’annonce, parce qu’elle souhaitait y proposer des ateliers aux demandeurs d’asile. Avec présence d’esprit, la pasteure EEM a saisi l'occasion et demandé si la communauté pouvait aider à la création de ce service. Cela a abouti à un projet commun que seule la petite communauté d’Oltner n’aurait pas pu mettre en oeuvre.


L’EEM de Chur accorde l’hospitalité à deux autres communautés chrétiennes. Par ce biais, Vreni Wirth a fait la connaissance d’une femme tamoule qui cherchait un nouvel appartement. « Simple coïncidence », il y avait dans les locaux de l’EEM un appartement précisément vacant. Mais la femme serait-elle en mesure de payer le loyer? L’EEM de Chur n’était pas prête à descendre le loyer en dessous du prix de marché, car elle était tributaire de ces fonds. Les deux femmes se sont laissées gagner par la déception, la colère et l'incompréhension. Vreni Wirth a fini par se réconcilier avec son église. En fait, elle trouvera ailleurs comme par miracle «la maison idéale »pour son amie Tamile.


L’EEM de Solothurn offre le petit déjeuner six fois par semaine, que fréquentent principalement des alcooliques et des toxicomanes. On ne pose pas là la question de savoir les raisons pour lesquelles on vient ou l’identité de chacun, dit Fritz Stettler. Il y avait au début des peurs et de l’inquiétude. Cependant, au fil du temps, on a remarqué que des hommes et des femmes venaient ici et pas de la "racaille". Le petit déjeuner n’était pas prétexte à la mission, mais rien que par leur attitude les 25 collaborateurs faisaient comprendre clairement aux visiteurs qu'ils étaient acceptés et aimés. Ce petit projet courageux a attiré l’attention même la ville de Soleure et le journal Migros lui a consacré un article. « Il y a eu soudain un tel afflux de dons que l'équipe en charge du projet a dû demander aux donateurs de ne plus faire de de dons dans les deux prochaines années », explique le responsable du projet.

10 Rapport de la surintendante et des surintendants 

Faire partie de la mission de Dieu

INTRODUCTION 

Au sein du Cabinet, nous réfléchissons souvent à la question de savoir quelle est la mission de l’église locale et comment elle peut être vécue. Cette réflexion a généralement lieu en lien avec des situations délicates concrètes auxquelles des églises ou des circuits sont confrontés, par exemple quand un circuit s’interroge sur la manière dont il doit vivre la mission de Dieu et demande des conseils au surintendant, ou lorsque, dans le cadre d’un accompagnement, un circuit se demande, avec la surintendante, s’il a vraiment encore un avenir. Or nous n’avons pas plus de solutions toutes faites que les membres pastoraux et les personnes engagées dans les églises concernées. 

Nous constatons cependant à maintes reprises que les changements à apporter vont nettement au-delà de l’élaboration de nouveaux programmes ou la proposition de nouvelles offres. Bien que ce ne soit pas systématique, nous observons souvent que l’attitude fondamentale des personnes qui fréquentent une communauté est la suivante : je vis dans mon église et j’ai un pasteur qui est là pour moi. L’important est que je me sente bien. Certes, on espère que des personnes de l’extérieur viendront grossir les rangs et que l'œuvre de Dieu sera revivifiée. Si on y regarde de plus près, on remarque toutefois que ce souhait de raviver la communauté vise surtout à permettre à l’église de continuer à vivre de la même manière qu’aujourd’hui pendant quelques années de plus. Dès que des nouvelles personnes suggèrent de nouvelles idées ou jettent le trouble dans une communauté, par méconnaissance de la culture ambiante, ce désir de nouveaux membres s’essouffle en effet rapidement. D'un mouvement missionnaire dynamique, l’EEM s’est pour ainsi dire transformée en une organisation statique, qui se préoccupe surtout de celles et ceux qui en font partie ; ce qu’elle fait par contre généralement très bien et avec beaucoup d’engagement. Les enquêtes et les analyses révèlent que les bonnes relations, la foi et le vécu partagés, la prévenance des uns envers les autres et l’hospitalité à l’égard des différentes personnes comptent parmi les grandes forces de l’EEM et de ses églises et circuits. 

En juin 2015, une illustration du cycle de formation de disciples a été présentée dans le cadre de la session de la partie suisse. Cette illustration est utilisée par l’institut SLI Spiritual Leadership pour décrire la mission que Dieu a confiée aux églises locales. L’évaluation des résultats fournis par les délégués des circuits présents lors de ce travail a confirmé le constat que nous, en tant que surintendante et surintendants, faisons régulièrement : les églises locales de l’EEM sont douées pour accueillir chaleureusement les personnes qui viennent à elles. Souvent, elles parviennent aussi à donner aux nouveaux venus une place où ils se sentent à l’aise, mais où ils finissent par rester. Le fait que notre mandat implique davantage que d’offrir une communion humaine solide n’est pas pris en compte. Il manque l’étape consistant à trouver la foi, qui enjoint à suivre l’exemple transformateur du Christ et, ainsi, à changer le monde. L’appel de Dieu à accomplir sa mission, la Missio Dei, en tant qu’individu et en tant qu’église, et sa volonté de participer à la nouvelle création du cosmos tombe dans l’oubli. 

C’est la raison pour laquelle nous mettons l’accent dans le rapport de cette année sur cette mission globale :
Nous sommes choisis par Dieu et devenons de nouvelles créatures pour vivre une vie avec lui. Nous sommes chargés et habilités, en tant que partenaires du Christ, à façonner le monde et à le transformer, à prendre part à la nouvelle création du monde voulue par Dieu. La nouvelle création, la nouvelle humanité, la nouvelle terre, le nouveau cosmos a germé en Jésus-Christ. En tant que disciple de Jésus, nous sommes parties prenantes de l’action de Dieu et appelés à y contribuer activement. 

Le présent rapport repose sur des réflexions tirées des conclusions de l’équipe du projet Sotériologie1 et des livres « Beten bildet Handeln »2 Postures of Missional Christians »3. 

Le rapport est structuré en trois parties :

1. Faire partie de la mission de Dieu
2. Exemples tirés de la pratique
3. Nouvelles de la communauté de service 

1. Faire partie de la mission de Dieu 

1.1 Appelés à être des partenaires de Dieu 

« Nous nous payons un hobby onéreux. » Cette affirmation a été lancée lors d’une discussion entre la surintendante et un organe dirigeant. Elle était délibérément formulée, comme nous l’avons appris par la suite, de manière à provoquer et signifiait : nous engageons beaucoup de temps, d’argent et de personnes dans quelque chose qui bénéficie avant tout à nous-mêmes, c’est-à-dire à un petit groupe de gens, tout comme d’autres associations de la place le font aussi. C’est en partie de cette manière que l’Église est perçue depuis l’extérieur. Certains sportifs qui s’adonnent à leur activité de prédilection le dimanche matin l’expriment parfois ainsi : « Les uns vont au culte, moi je vais courir, c’est ma façon de vivre ma spiritualité. » L’appartenance à une communauté chrétienne est considérée comme un hobby potentiel parmi d’autres. À ce titre, elle est aussi généralement bien acceptée au sein de la société suisse. Tant que la foi des chrétiens et chrétiennes n’empiète pas trop sur leur vie quotidienne, « ça passe ». 

Mais au fond, être église, avoir la foi, vivre avec le Christ, ça veut dire quoi ? Est-ce une activité comme une autre sur laquelle j’ai jeté mon dévolu ? L’image qu’en donne la Bible est bien différente : elle ne dit pas que je choisis l’une des nombreuses possibilités offertes, mais que quelqu’un m’a appelé, que j’ai été saisi par le Christ et que je vis dans une autre réalité. Du fait que j’aie été saisi et que je me sois laisser saisir, je vis dans une autre dimension, à l’horizon de Dieu. Il s’agit donc ici d’abord de mon être profond, de mon identité, de la question de mon appartenance. La réponse à cette question affecte ma vie et mes actes dans leur intégralité. Toute ma personne est alors placée dans la réalité de Dieu, même si ma vie dans le monde est celle d’une personne vulnérable et faillible. Cela n’a donc rien à voir avec des activités que je recherche, un hobby que je choisis, mais correspond bien plutôt à une attitude, une vision qui influencent et transforment ma vie et mon être tous les jours et partout. La Bible part du principe que Dieu renouvelle les humains et agit en eux de telle sorte qu’ils soient prêts à devenir de nouvelles créatures et à se transformer peu à peu à son image au fil de leur cheminement avec lui. Cette action aura un impact sur toute la vie de la personne, dans son intégralité. Éphésiens 2.10 décrit cette pensée avec ces mots : « Car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ pour de bonnes œuvres, que Dieu a préparées d’avance, afin que nous les pratiquions. » (NEG4)
Nous avons fait l’expérience de la grâce de Dieu et avons été appelés par lui à vivre avec lui. Comme le laissent régulièrement entendre les textes bibliques, cette vie n’est ni une sinécure ni une oasis de bien-être, mais une aventure pleine de défis qui vaut la peine d’être vécue. Être en chemin avec le Christ est une grâce et un appel. Nous sommes des nouvelles créatures, des personnes aimées par Dieu, appartenant à son peuple et vivant à son horizon, et cette réalité a des conséquences : enrichissantes, car nous faisons l’expérience du salut et de la guérison, nous sommes portés par une communion solide qui nous unit les uns aux autres, nous tissons et vivons des relations qui font tout simplement du bien. Ces conséquences peuvent toutefois aussi avoir un impact fondamental sur notre existence : si en Suisse, en Suisse, l’affirmation que nous sommes chrétiens risque tout au plus de provoquer des regards de travers et quelques moqueries, dans d’autres pays, une telle confession peut mettre notre vie en danger. 

Et c’est bien un peu le reflet de la perspective de Dieu, de son intention à mon égard et à l’égard de tous ceux et celles qu’il appelle. Or chez nous, cette réalité est souvent différente. Grandir selon cette image de Dieu et se laisser guider et façonner par lui est et reste un défi. 

En effet, être appelé par Dieu à vivre avec lui n’a pas pour but de nous permettre de nous sentir bien et de nous installer confortablement dans notre jolie maison individuelle, Dieu appelle des personnes pour qu’elles participent à son œuvre créatrice et contribuent activement à bâtir le nouveau monde dont Jésus à jeté les bases. Ce monde qui est déjà tangible aujourd’hui et sera un jour achevé. Être chrétien n’est pas un hobby. Être marqué par l’Évangile me transforme, influe sur ma vie, mes actions, mon comportement, la manière dont je gère mes relations et dont j’accomplis mon travail, dont je vote et dont je choisis quand dire non. « À la promesse inconditionnelle de la vie libératrice de Dieu, correspond l'exigence inconditionnelle de Dieu d’un don total et entier de la vie de ceux qui lui appartiennent. Ceux-ci sont appelés à vivre comme des nouvelles créatures, à témoigner de leur transformation et à participer à la nouvelle création cosmique en tant que partenaires de Dieu. » (SZ, p. 20) Cet appel est donc à la fois un cadeau de Dieu et un défi à se soumettre à lui et à aménager notre vie à partir de la vie avec lui. Sommes-nous encore disposés, es-tu encore disposé à relever le défi de vivre comme Dieu se l’imagine ? Ou sommes-nous satisfaits de la situation actuelle tant qu’elle nous est favorable ? 

1.2 Chargés de transformer le monde 

La mission de l’EEM a une orientation claire. Elle ne consiste pas à « amener des personnes à suivre le Christ », mais à « transformer le monde » à la gloire de Dieu, c’est-à-dire à œuvrer activement à bâtir le nouveau monde de Dieu. C’est aussi la raison pour laquelle l’introduction du cycle de formation de disciples susmentionné ne présente pas une vision, mais décrit COMMENT l’église locale fait QUOI. Ce faisant, il prend en considération une réalité essentielle : changer le monde n’est possible qu’avec des personnes qui sont transformées. Le résultat de cette transformation est que ces personnes vivent différemment et se mettent à façonner le monde à partir de la vision de Dieu. C’est ce que font les gens en communion avec d’autres lorsque le ressuscité vit et agit en eux. Aux yeux de Dieu, l’église locale participe pleinement à son intention de créer un monde nouveau. En tant qu’appelés, nous n’avons pas pour tâche de réaliser nos plans, mais de contribuer à la concrétisation du plan de Dieu. Aussi les questions qui sous-tendent ce processus sont-elles les suivantes : Où vois- je Dieu à l'œuvre dans ce monde ? Comment veut-il m’utiliser ? 

L’équipe du projet Sotériologie nous fournit un exemple et une suggestion à cet égard lorsqu’elle écrit : « Nous avons appris : C’est dans l’écoute de l’autre, dans le dialogue authentique et dans des rencontres vraies que grandit notre propre foi en Jésus-Christ et naît alors un échange dans la confiance. Tout naturellement, nous parlons un langage dans lequel l’Évangile prend aussi sa place. » (BS, p. 3). L’équipe résume ses conclusions par deux thèses :

  1. Le langage que nous utilisons à notre époque pour parler du salut survient dans des rencontres authentiques.
  2. 2. De telles rencontres changent notre propre foi en Jésus-Christ. » Il convient de relever ici la formulation « notre propre foi ». L’action provoquée n’est pas la conversion d'une autre personne à la seule foi correcte, mais une croissance et une transformation de ma foi et de celle de l’autre. Le but des rencontres authentiques n’est pas de pouvoir transmettre mes convictions profondes à mon vis-à-vis, mais d’être disposé, dans le cadre de cette rencontre ou relation, à m’ouvrir à l’action de Dieu, à écouter l’autre et à trouver, sous la direction de l’esprit et en demeurant à l’écoute, les mots, les gestes ou les idées qui pourront aider l’autre. Ce faisant, je prends toujours un risque : Que ce passera-t-il si, lors de cette rencontre, je découvre quelque chose qui ébranle ma propre conviction ? Suis-je prêt à me remettre en question ? Ou que se passera-t-il si, dans une relation, quelqu’un me montre clairement qu’il ne veut rien avoir à faire avec la foi ? Comment est-ce que je gère ce type de rejet et comment puis-je continuer à rencontrer cette personne dans l’amour de Dieu ? 

Après avoir décrit dans le chapitre 1.1 la perspective qu’a Dieu des humains, les quelques phrases suivantes tentent de décrire la perspective qu’a Dieu de sa communauté :
L’Église, ou l’église locale en tant que communauté créée par Dieu, est chargée de vivre, représenter et refléter dès maintenant la nouvelle création. « Dans l’Église et à travers elle, mais pas exclusivement, Dieu est lui-même présent dans le monde, c’est lui qui agit d’abord et en majeure partie, pour le salut du monde. Cela place l’Église et sa pratique dans une perspective d’espérance. » (SZ, p. 21). Et ce, indépendamment de la situation extérieure ou de la taille de l’église concernée. À noter qu’il s’agit là d’une image idéale de l’Église, telle que devrait être l’Église de Jésus-Christ. Malheureusement, l’Église ou la communauté dans ce monde est souvent davantage une entreprise humaine servant à satisfaire les besoins de quelques-uns que la véritable Église du Christ. «L’existence de l’Église est étroitement liée à la germination de la nouvelle création en Jésus-Christ. Son origine reposant dans la volonté d’amour universel de Dieu c’est là que réside donc aussi sa raison d’être. S’interroger sur le but, le mandat et l’orientation de la pratique de l’Église sans tenir compte de cet horizon universel dans lequel elle est ancrée depuis le départ entraîne obligatoirement des raccourcis et des distorsions, comme par exemple une pensée individualiste. » (SZ, p. 22) 

C’est la raison pour laquelle, au vu de la situation extrêmement difficile des personnes qui affluent en Europe depuis de longs mois, les initiatives des églises locales sont aussi importantes. Elles sont l'une des formes d’expression de la volonté d’aimer de Dieu. Le fait que ces initiatives donnent parfois lieu à des critiques du style « Vous voulez juste évangéliser les pauvres réfugiés pour les convertir à votre foi » ne doit pas perturber l’église de Dieu. L’une des formes et l’un des buts de la nouvelle création de Dieu est que les humains aient la vie et la vie en abondance. Partout où, face à cette situation, des communautés chrétiennes offrent un espace et ouvrent leur cœur à leurs prochains, en dépit des erreurs commises et de toutes les imperfections que nous vivons, elles sont l’image de la culture d’accueil et l’hospitalité de Dieu. En tant que surintendante et surintendants, nous sommes reconnaissants pour les initiatives concrètes menées par les églises, parfois en collaboration avec d’autres dénominations, et encourageons chacune d’entre elles à faire preuve de créativité dans la poursuite de ce travail. 

La mission de Dieu ne s’arrête cependant pas aux humains. Une communauté de l’EEM a délibérément décidé de baser le choix de ses aliments, produits de nettoyages et autres biens de consommation sur des critères de respect de l’environnement, d’achat responsable et de préservation des ressources naturelles. 

Elle participe ainsi à la nouvelle création de Dieu. Car, bibliquement, la nouvelle création attendue ne peut se limiter à l’humanité ou même à quelques personnes. Il s’agit d’un nouveau ciel et d’une nouvelle terre. Autrement dit la création extrahumaine. Le fait qu’en Suisse l’EEM invite depuis de nombreuses années ses employés à utiliser autant que possible les transports publics ou les offres de co- voiturage semble aujourd’hui aller de soi. Cette attitude reflète toutefois clairement le fait que l’Église vit délibérément déjà un signe de la nouvelle création de Dieu, même si le monde est encore bien loin de la perfection. Dans ce domaine aussi, nous sommes reconnaissants pour toutes les initiatives et encourageons à ne pas abandonner, mais à assumer consciemment, en tant que communauté chrétienne, la responsabilité de la création de Dieu. Ce n’est pas une activité annexe. C’est une partie de la mission de Dieu : il veut façonner la création et impliquer les personnes qui suivent son appel dans cette tâche. 

1.3. Vivre de l’enracinement en Christ 

Bien des gens, peut-être même la majorité, ont tendance à attendre l’occasion extraordinaire rêvée pour agir. Malheureusement, ces occasions ne se présentent pas toujours. Ou alors ils espèrent que Dieu les appellera pour une tâche très précise. Or être appelé et envoyé par Dieu signifie ne pas attendre des occasions futures, mais découvrir, entendre et vivre notre mission partout où nous sommes. Lorsque Dieu voudra nous confier une tâche particulière, il nous le montrera. Dans l’intervalle, notre mission est là où nous nous trouvons : dans notre quartier, sur notre lieu de travail ou en pleine ville. S’il est vrai que nous avons justement été envoyés là où nous sommes, il est vrai aussi que nous devons y rester et trouver comment contribuer, en tant que partenaires de Dieu, à son action en nous, avec nous et autour de nous (Sentness p. 48). L’important à cet égard est qu’il ne s’agit pas de notre action, mais de celle de Dieu. Le but n’est pas d’avoir du succès, mais de vivre et d’agir à partir de notre enracinement dans le Christ, qui est le cep, et en demeurant en lui (Jean 15.5). Cela ne nous empêchera pas de prendre de mauvaises décisions. Mais qui d’entre nous peut toujours être sûr de savoir ce qui est juste et ce qui est faux ? Qui sait si Dieu ne veut pas justement utiliser mon imperfection pour venir en aide à quelqu’un d’autre ? 

L’existence chrétienne peut être décrite comme une vie dans la grâce. Elle est marquée par l’attitude fondamentale, l’habitus, de la prière. « Parce que la foi est actualisée dans la prière, l’existence de foi est une existence de prière. » (SZ, p. 243) Cette description mène d’un côté vers Dieu, de l’autre vers le prochain et vers le monde. 

Elle mène vers Dieu parce que Dieu est vécu comme celui qui offre et forme la foi et marque de son empreinte l’habitus de la prière. On retrouve ici l’image donnée par Jean de « demeurer dans le cep » (Jean 15.5). Il s’agit d’avoir part à ce dont Jésus- Christ représente l’accomplissement. Non pas un état, mais un processus de mutation ou de transformation. La personne nouvellement créée par Dieu, qui vit de son ancrage en Christ, est transformée à l’image du Christ. 

L’existence chrétienne mène vers le prochain et vers le monde, parce que l’habitus de la prière, cet enracinement en Christ, conduit à ce que des personnes se tournent vers leurs prochains, à l’exemple du Christ. L’idée n’est pas de respecter des règles avec assiduité, mais de mener une vie et une action spontanées nées d’une personnalité transformée. 

Lorsque des gens ont une relation avec Jésus-Christ, on le sent dans leur comportement, dans leur amour pour Dieu et pour les humains, dans le fait qu’ils vivent différemment et sont renouvelés par Dieu. Lorsque Dieu transforme des hommes, la société change. Ce devrait tout du moins être le cas. 

Le message fondamental de ces réflexions est que là aussi c’est finalement Dieu qui agit en moi et à travers moi. C’est là raison pour laquelle il est difficile de voir qu’une personne est en chemin avec le Christ lorsque l’on ne perçoit pas, dans sa vie, ses activités et ses décisions quotidiennes, qu’elle aime Dieu et son prochain comme soi-même. Observer qu’en Suisse des chrétiennes et des chrétiens arrêtent tout autant leurs actions, leurs décisions de vote ou leurs choix en fonction de leur peur de perdre quelque chose et d’une attitude de rejet que d’autres personnes laisse donc songeur. La mission de Dieu exige de nous d’être généreux ; non pas de faire preuve de naïveté chrétienne, mais de manifester une « éthique de l’abondance » selon laquelle, en tant que personnes richement dotées par Dieu, nous partageons la vie avec d’autres. 

Partout où j’arrive, je viens en tant que personne envoyée par Dieu. Que ce soit à la caisse du supermarché, lors d'un entretien avec un collaborateur ou dans ma réaction face à un adolescent en pleine puberté, mon attitude doit porter l’empreinte de la présence de Dieu. Cette attitude peut être risquée et astreignante et il est difficile d’y penser en permanence au quotidien, c’est humain. Mais on peut s’exercer : un membre de l’équipe du projet Sotériologie se fait un point d’honneur de toujours demander à Dieu, lorsqu’elle arrive quelque part, comment il aimerait agir dans cette situation. Elle a à cœur de tenir compte des impulsions qu’il lui donne et de les mettre en pratique. Il en découle des expériences très particulières, aussi bien dans le domaine des soins qu’au magasin. Lorsqu’elle a l’impression qu’elle doit demander si elle peut prier avec son interlocuteur, elle le fait, et accepte que la réponse soit bienveillante ou négative. Nous pouvons rarement avoir la certitude que c’est vraiment Dieu qui nous parle et nous donne des idées. Lorsque nous demeurons dans le cep et vivons à partir de cet ancrage, nous savons néanmoins que c’est Dieu qui nous porte, même là où il nous est parfois pénible d’essuyer un refus ou d’affronter quelque chose de désagréable. Souvent ces impulsions sont justement ce dont une personne avait besoin à ce moment-là. 

Parmi les moyens de la grâce, John Wesley compte aussi les « œuvres de la miséricorde », telles que la Bible les évoque dans différents passages : nourrir les affamés, habiller les gens démunis, héberger les étrangers, rendre visite aux malades et aux prisonniers. Ces œuvres s’adressent aussi bien aux amis, aux étrangers, aux voisins, aux membres de la famille, qu’aux ennemis. Nous ne pouvons les réaliser que parce que Dieu lui-même a versé son amour en nous (Rom 5.5). Elles deviennent ainsi les conséquences d'une transformation produite en l’homme et une action de la communauté chrétienne. La foi n’est concevable qu’en lien avec d’autres personnes, y compris des non chrétiens, et avec le monde. Le double commandement de l’amour place l’amour pour Dieu au même niveau et lui accorde la même importance que l’amour pour le prochain. Être attentifs à notre entourage et au monde fait partie de la foi, d’où le constat que Dieu veut que nous soyons en communauté. Dans l’épître aux Romains, Paul utilise notamment l’image de l’église en tant que corps du Christ. C’est la manière dont nous nous complétons qui rend le Christ vivant pour ce monde et dans ce monde. Nous avons besoin les uns des autres. Il fut un temps où nous chantions souvent le cantique « Warum gaht’s denn nöd als Solochrischt, werum cha’s allei nid gah? Wüll’t alleini ganz verlore bisch und der niemert hälfe chah. En Chrischt bruucht der ander, der ander bruucht dich. So hälfed mir enander uf em Wäg i sis Rych »5 Malheureusement, bien des gens ont oublié qu’il ne s’agit pas seulement de s’aider dans le royaume de Dieu, mais que notre mouvement inclut toute l’humanité et le monde qui nous entoure. C’est justement pour ça que nous avons besoin les uns des autres: pour que là où, dans notre vie, au quotidien, à chaque moment, nous voulons consciemment vivre courageusement en tant qu’hommes et femmes de Dieu nous ne soyons pas seuls. Ça fait du bien de savoir que d’autres assument la même tâche. Ça aide de s’encourager mutuellement, de surmonter ensemble les moments difficiles et de se réjouir avec l’autre des situations qui donnent lieu à une vie nouvelle. Nous avons besoin de personnes qui mettent leurs forces et leurs faiblesses à la disposition de Dieu et viennent ainsi compléter nos propres forces et faiblesses. Si nous apprenons ensemble à nous honorer les uns les autres au nom de Dieu, à pratiquer le pardon, à tisser des relations aimantes et sincères, à nous disputer et à nous réconcilier, nous vivrons cette nouvelle sorte de relations que Dieu s’imagine aujourd’hui déjà, en toute imperfection, mais portés et aimés par Dieu. De par son essence même, l’église locale participe naturellement à la nouvelle création du cosmos voulue par Dieu, à la gloire de Dieu. 

1.4 Et maintenant ? 

Dans les trois chapitres précédents, nous nous sommes efforcés de placer la réalité telle que nous la vivons en regard de la perspective de Dieu. En tant qu’humains, qui ne sommes pas de ce monde mais vivons dans le monde, nous sommes appelés à supporter et à surmonter la tension entre ces deux réalités, celle de notre monde et celle de Dieu. Toi, en tant que lectrice ou lecteur de ce rapport, vis dans la réalité de Dieu : Tu es élu, saisi par Dieu et donc déjà une nouvelle créature. Mais tu es aussi une personne avec des faiblesses, confrontée aux défis du quotidien, parfois dépassée par les événements, tentée par l’envie de te reposer, d’avoir la paix, d’être bien. Tu vis enraciné en Dieu, mais aussi dans ce monde et donc tiraillé entre la réalité de Dieu et notre réalité. Et tu fais partie d'une communauté, d'une Église, qui vit elle aussi cette tension entre les deux réalités, humaine et divine. 

Comment ressens-tu dans ta vie personnelle le défi consistant à te laisser transformer par Dieu et à travailler à la nouvelle création de ton environnement ? Quel regard portes-tu sur la manière dont tu vis ta vie et ta foi au vu des réflexions exposées ci- avant ? 

Comment vis-tu cette tension dans l’église dans laquelle tu te sens chez toi ? Ta communauté est-elle avant tout un hobby pour les personnes qui la fréquentent ? Ou est-elle ouverte à l’esprit et à l’action de Dieu, même si cela implique des changements importants ? 

Comment perçois-tu l’Église Évangélique Méthodiste ? Dans quelle mesure ton Église est-elle surtout une institution humaine ? Et dans quelle mesure est-elle prête à s’abandonner à l’action de Dieu dans le monde ? Est-elle présente « en abondance » pour toute l’humanité et toute la création ? Où perçois-tu le besoin de laisser Dieu transformer encore davantage ta personne, ton église locale ou l’EEM pour changer le monde à la gloire de Dieu ? 

Où vois-tu des traces de Dieu dans ta vie, ton église locale et ton Église ? Est-ce que tu en parles, de manière à encourager et motiver d’autres personnes ? 

2. Exemples tirés de la pratique 

2.1 Exemples d’expériences vécues par des personnes et églises locales de la Conférence annuelle 

Lors de la Conférence annuelle à Münsingen, une personne de chaque district racontera comment elle gère cette tension et expliquera dans quelle domaine et comment son église locale prend part à la mission de Dieu. 

2.2 Échange en plénière 

Le moment sera alors venu d’exprimer en plénière son propre vécu, mais aussi ses questions, objections et réflexions. Comment vis-tu et ressens-tu, comment vivez- vous et ressentez-vous cette participation à la mission de Dieu personnellement et en tant qu’églises ? Où as-tu par exemple ressenti une impulsion que tu as suivie comme l’action et l’envoi de Dieu ? Où ton église a-t-elle osé quelque chose de nouveau en faisant confiance à l’action de Dieu ? Et quel en a été l’effet ? Que peuvent en apprendre les autres églises ? 

….

4. Remerciements 

En tant que surintendante et surintendants, nous cheminons aux côtés de pasteur-e- s, de responsables de circuits et d’églises locales et du Conseil de l’EEM dans des situations très diverses. Nous sommes reconnaissants pour toutes les joies que nous partageons, pour les nouveaux projets, idées et démarches passionnantes. Nous vivons beaucoup de créativité, d’élan et d’amour. D’un autre côté, nous sommes aussi confrontés, nous-mêmes ou avec vous, à des situations qui nous laissent désemparés ou suscitent des frustrations. Dans toutes ces situations, nous remercions le Seigneur pour toutes les personnes qu’il appelle à une vie avec lui et envoie, avec de nombreuses autres personnes de son peuple, au service du monde. Merci à vous tous et toutes d’intercéder pour nous, de persévérer, de pardonner les erreurs que nous commettons, et de nous apporter un soutien pratique. Nous vous sommes reconnaissants de porter avec nous la responsabilité de l’Église et de la communauté de Dieu. 

Jörg Niederer Etienne Rudolph Stefan Zürcher Claudia Haslebacher 

Notes

1 Brochure de travail « Sotériologie - Être sauvé ! Comment le dire ?», et rapport du GT112 à la CA 2015
2 Zürcher-Allenbach, Stefan, Beten bildet Handeln (NdT : La prière mène à l’action). Suggestions pour une théologie pratique dans la perspective wesleyenne-méthodiste, thèse, Zurich 2015 (im- pression en préparation).
3 Hammond, Kim et Cronshaw, Darren, Sentness – Six Postures of Missional Christians,

4 NEG est l’abréviation de la traduction de la Bible selon la Nouvelle Édition de Genève, 1979

5 « Pourquoi être chrétien tout seul ne marche pas ? Parce que tu es perdu, de l’aide tu n’en trouves pas. Un chrétien a besoin de l’autre, il a besoin de toi. Alors aidons-nous les uns les autres dans le royaume de Dieu. » (Traduction libre ajoutée par la traductrice) propres forces et faiblesses. Si nous apprenons ensemble à nous honorer les uns les autres au nom de Dieu, à pratiquer le pardon, à tisser des relations aimantes et sincères, à nous disputer et à nous réconcilier, nous vivrons cette nouvelle sorte de relations que Dieu s’imagine aujourd’hui déjà, en toute imperfection, mais portés et aimés par Dieu. De par son essence même, l’église locale participe naturellement à la nouvelle création du cosmos voulue par Dieu, à la gloire de Dieu.

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